Amis lecteurs, ne vous fiez pas aux apparences, ces deux tourtereaux marchant main dans la main, cheveux au vent et le sourire aux lèvres, sont à la rue. Brahim et se petite amie Eva traversent une période très difficile. Ils m’appellent un soir de semaine pour me donner de leurs nouvelles. Brahim m’annonce que sa mère a balancé toutes ses affaires par la fenêtre. Il semble déprimé mais surtout blessé par ce que sa famille lui inflige. Eva et lui ont dû louer une chambre à 50 euros dans le 18e arrondissement. Le lendemain, ils se sont rendus à la mission locale où ils n’ont pas trouvé l’aide escomptée.

Brahim : « On nous a proposé de faire le numéro d’urgence 115, avant de nous conseiller de nous tourner vers Urgence jeunes, raconte Brahim. On est allés les voir et le mec qui reçoit nous a dit qu’il ne courait pas derrière les jeunes et que il y aurait peut-être un hébergement pour dans un mois. »

Eva : « Suite au rapport social que l’assistante a rédigé, Urgence jeunes nous a appelés pour nous rencontrer la semaine d’après. Nous avons rencontré séparément une AS (assistante sociale, ndlr) et un éducateur qui nous ont expliqué le déroulement des opérations. On pourrait être logés dans un hôtel pour une période d’un mois renouvelable, une seule fois seulement. Il y a un suivi hebdo aussi. »

Nadia : Alors, qu’allez-vous faire, ou allez-vous dormir ce soir ?

Brahim : On va rester à l’hôtel pour le moment.

Nadia : T’en es où de tes études, Brahim ?

Je ne vais plus en cours, je les mets entre guillemets le temps que la situation se stabilise. Je cherche un appartement d’abord et un travail stable pour payer le loyer. Je suis aussi en attente d’une réponse pour un poste de dessinateur en bureau d’études.

Eva : Aujourd’hui on est allé au « Paris pour l’emploi » sur le Champ-de-Mars dans le 7e arrondissement. C’est organisé par l’ANPE, la ville de Paris, la chambre des métiers, etc. On a déposé des CV. On verra ce que ça va donner. Moi je viens de signer un CDD de trois mois avec l’espace SFR de Jaurès. »

Brahim est à découvert de 700 euros à la banque à force de payer toutes ces nuits d’hôtel et ses repas à l’extérieur. Les amoureux se rendent au pôle social de l’espace 19 dans le rue de Crimée. La personne à l’accueil leur explique pendant plus de 20 minutes qu’elle ne peut rien faire pour eux. Paris est saturé en matière de logement et les dernières expulsions avant l’hiver n’arrangent rien, car ce sont des familles entières qu’il faut reloger. Elle les réoriente vers la CCAS (Caisse centrale d’activités sociales) de Meynadier. Brahim et Eva ont beau leur expliquer qu’ils ont été refoulés de là-bas aussi, elle reste catégorique : « C’est à eux de vous aider, c’est leur devoir, vous insistez auprès d’eux en leur précisant bien que vous êtes à la rue dès ce soir. Ils vont vous trouver un hôtel. »

Ils partent alors au centre social Meynadier où un assistant social les reçoit et leur donne un listing d’hôtels qu’ils doivent appeler l’un après l’autre. S’ils trouvent une place, ils bénéficieront peut être d’une aide financière pour payer les frais. Alors qu’ils commencent leurs recherches, l’assistant social revient leur annoncer une mauvaise nouvelle. « Son supérieur hiérarchique lui a dit qu’on ne rentrait pas dans les critères pour bénéficier de l’aide financière. »

Brahim et Eva ne se laissent pas démonter. Ils appellent les numéros d’hôtels. En fin d’après-midi, ils commencent à désespérer. Partout, c’est « complet ». Quand l’assistant social fait le numéro à tout hasard du Centre israélite de Montmartre. Et là, une femme accepte de leur donner gracieusement une chambre avec repas compris jusqu’au 27 octobre. Brahim et Eva sont aux anges, ils me téléphonent sur le chemin de l’hôtel qui se situe dans le 10e.

Un peu plus tard, lorsque je les rencontre pour en discuter, ma première question est :

« Alors c’est comment là bas ?

– (Brahim) On dort bien, lol

– Cette aide est comme tombée du ciel à la dernière minute, non ?

– (Eva) Oui. Je m’étais dit que les juifs allaient être très fermés entre eux, comme quand tu les vois devant les écoles qui leur sont destinées, et en fait non pas du tout, c’est très convivial, tout le monde te dit bonjour.
– (Brahim) C’est terrible, il n’y a rien à dire. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce soit des juifs qui nous tendent la main. Au moment où on était le plus démoralisés. La dame s’est battue pour nous trouver une solution.

– Vous ne verrez donc plus les juifs de la même façon ?

– (Brahim) Ça, c’est clair, ça change tout. On était dans la merde et les gens qui étaient sensés nous aidés, nous ont baladés, roulés dans la farine. Cette femme juive du centre, elle s’est battue pour nous, elle avait fini son service et elle n’a pas lâché l’affaire jusqu’à ce qu’elle nous trouve un hôtel. Je ne la remercierai jamais assez. »

Nadia Méhouri

Brahim : épisode 1. 

Nadia Méhouri

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