LA MARCHE. Initiée par le collectif ACLFEU pour raconter l’histoire des mobilisations citoyennes dans les quartiers en 1983, la caravane de la mémoire a commencé son tour de France. Elle était vendredi à Marseille. Reportage.

Trente ans, c’est l’âge de la maturité. L’âge où l’on apprend, enfin, qu’il ne faut pas réitérer les erreurs du passé. Trente ans, c’est l’âge qu’a la Marche pour l’Egalité et contre le Racisme. Partis de Marseille, arrivés à Paris, ceux qui à leur départ n’étaient que quelques dizaines se sont vite retrouvés à plus de 60 000 personnes, mettant la lumière sur le racisme ambiant et omniprésent que rencontrèrent ces jeunes Français , issus de la deuxième génération d’immigrés, pour la plupart.

photo 2photo 2Elle met en exergue les violences policières, les morts. Beaucoup, trop jeunes, dont le seul crime était d’être Noir où Arabe, n’ayons pas peur des mots. Trente ans après avoir marché, au Lycée Saint-Exupéry de Marseille, quelques acteurs du mouvement se rassemblent. Ils ont fait partie des 32 personnes à partir de Marseille, un 15 octobre 1983, pour arriver à Paris. Des militants associatifs et des spectateurs sont également venus assister à la projection des extraits du documentaire de Mogniss Abdallah, « Douce France », suivie d’un débat permettant de se souvenir, et de soulever certaines problématiques.

Ce rassemblement est à l’initiative du collectif ACLEFEU, qui, pour entretenir ce devoir de mémoire, a décidé de sillonner les villes autrefois parcourues lors de la Marche à travers la création d’une caravane itinérante. A son bord, Fatima Hani, l’une des membres fondatrices du collectif ACLEFEU, aussi secrétaire nationale de l’association. C’est une femme pugnace, au parcours atypique et semé d’embûches mais dont la détermination se lit dans le regard et se définit dans les mots : « j’ai l’impression que toute ma vie m’a préparée à ce moment là ».

photo 4Elle m’explique la naissance d’ACLEFEU « Association Collectif Liberté Egalité Fraternité Ensemble Unis », née en 2005, au lendemain de la mort de Zied et Bouna, à Clichy-sous-Bois et qui a engendré les mouvements de révolte que l’on connaît. Fatima, elle, y a assisté. De la fenêtre de chez elle au coup de fil qu’elle reçoit de Siaka Traoré, le grand frère de Bouna, qu’elle connaît bien, « c’est mon frère qui vient de mourir », elle est spectatrice du pire. Décide, avec d’autres personnes impliquées, de devenir actrice d’un mouvement qui apportera des réponses pacifiques, intellectuelles et citoyennes pour « transformer toute cette colère, cette émotion, cette agressivité dont on ne sait plus quoi faire ». Pour que ces deux petits, ils n’avaient pas 18 ans, ne soient pas morts pour rien.

Depuis, ACLEFEU lutte contre toutes les formes de discrimination, d’inégalité et d’injustice, œuvre pour les droits des femmes et les droits civiques. La caravane de la mémoire a cette particularité d’appartenir à toutes les villes qu’elle a ou va traverser, à toutes les structures qui la reçoivent. Elle repart, à la manière d’un marin qui à une femme à chaque port, plus riche et plus complète, avec des écrits, photos, dont elle se nourrit. La projection commence et je m’installe dans l’amphithéâtre. Bien trop parsemés, les spectateurs sont attentifs aux extraits diffusés. Témoignages, images d’archives s’y succèdent. Une jeune fille pleure à côté de moi. Oui, les images sont poignantes et la « Douce France » de l’époque n’est plus bercée de tendre insouciance.

photo 3Le débat qui suit permet de soulever des questions intéressantes, notamment celle concernant la recrudescence des violences policières en 1980-1981 : « Il n’y en a pas. Les violences étaient déjà ancrées et le paradoxe de la mobilisations fait qu’on rend visible un phénomène qui existe d’emblée. Le phénomène d’aggravation a pris une tournure beaucoup plus importante à la fin des années 1970 à cause de la crise, du développement du chômage. Giscard, à cette époque, a de ce fait voulu virer 500 000 Algériens afin d’éradiquer le chômage. D’ailleurs, cela a failli engendrer une renonciation des accords bilatéraux franco-algériens. C’est de là qu’est né le slogan « 3 millions de chômeurs, c’est 3 millions d’immigrés de trop ». Il puise son origine dans les milieux nazis », résume Mogniss Abdallah.

Les problèmes qui nous touchent aujourd’hui, crise, développement du chômage, montée du FN, ne sont donc que des relents de maux jamais digérés aux odeurs nauséabondes. Le constat est frappant : la société française a échoué dans le désir d’égalité du but de la Marche. A Marseille, comme dans d’autres villes, les chiens aboient et la caravane passe.

Hadjila Moualek

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