« Nous ne crions pas victoire, mais nous saluons des conclusions qui vont dans nos sens. » Quelques instants après la fin de l’audience devant le Conseil d’État, l’avocate Me Marion Ogier, qui représente le collectif de joueuses Les Hijabeuses, s’affiche pourtant tout sourire. « Les préjugés, quand bien même seraient-ils majoritaires, ne doivent pas permettre de juger cette affaire », espère l’avocate. « Du droit, rien que du droit », martèle-t-elle.

Depuis près de trois ans, ce collectif de joueuses portant le voile se bat contre la Fédération française du football (FFF). Depuis 2016, l’article 1 du règlement de l’instance sportive interdit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Cette interdiction est une spécificité française, comme nous le rappelions en 2021.

Une dizaine de ces joueuses interdites de matchs passent les murs du Palais Royal. « Ce que l’on fait est historique, nous sommes en train d’inspirer les jeunes générations », s’émeut Founé Diawara, co-présidente des Hijabeuses. Après une requête du collectif, le Conseil d’État doit étudier la demande des joueuses de supprimer l’article 1 des statuts de la FFF et d’enjoindre la Fédération à modifier son règlement.

Interdiction du voile : la boîte de pandore

La FFF, connue pour son inflexibilité sur la question du port du voile, devait également défendre l’obligation de neutralité politique soumise aux sportifs. Cette deuxième requête était portée par la Ligue des droits de l’Homme.

Deux parties et deux visions s’opposent dans ces affaires. D’un côté, le féminisme dit intersectionnel porté par l’association mère Alliance Citoyenne et les Dégommeuses, un club de foot queer. De l’autre, le féminisme dit universaliste, soutenu par la Ligue du droit international des femmes (LDIF), qui contestait la requête des Hijabeuses auprès de la FFF.

Le rapporteur public, qui rend ses conclusions auprès des juges du Conseil d’État, ne s’est pas attardé sur cette discorde. Si le magistrat juge que la question peut se poser pour les joueuses sélectionnées en équipe de France, il l’estime « plus discutable » pour les autres joueuses licenciées de la FFF.

« On ne saurait revendiquer l’égalité des sexes » alors même que ces joueuses « s’émancipent » à travers la pratique sportive, a affirmé le rapporteur public, dont l’avis est généralement suivi par la juridiction

Féminisme, laïcité, principe de neutralité et liberté de conscience : l’audience balaye nombre de concepts et autant de sujets sensibles. La Fédération footballistique, elle, a mis en avant sa mission de service public pour défendre l’interdiction du voile.

La Fédération est « pleinement compétente à mener des services de mission publique », admet le rapporteur, Clément Malverti. Mais « seulement si ses règles visent à maintenir le bon déroulement des évènements sportifs ». Or, « aucun des arguments avancés par la FFF ne prouve l’existence d’un lien entre des incidents survenus pendant des matchs et le port du hijab », expose le rapporteur. En s’appuyant sur l’esprit de la loi de 2004, la FFF a imposé aux joueuses les mêmes règles que celles appliquées aux écolières, collégiennes et lycéennes. En somme, la FFF fait sa propre Loi. Elle s’en est « affranchie », conclut le magistrat.

«  Nous avons le droit d’être là »

Les avocats représentant la FFF et Ligue du droit international des femmes, Me Loïc Poupot et Frédéric Thiriez, ancien président de la Ligue professionnelle de Football, ont tous deux vertement critiqué une atteinte aux « valeurs fondamentales de l’olympisme ». Me Thiriez s’est voulu le porte-voix du combat des femmes iraniennes, avant d’affirmer que le combat des Hijabeuses était « une offensive très organisée de l’islamisme politique, avec à sa tête l’Iran et les monarchies du golfe ».

Lancé en juillet 2020, les Hijabeuses se sont lancées dans un combat législatif au cours duquel les joueuses ont multiplié les mobilisations : manifestation au siège de la FFF ou match de foot improvisé devant l’Assemblée Nationale. En janvier 2022, elles avaient remporté une première victoire avec l’abandon au Sénat d’un amendement visant à interdire les « signes religieux ostensibles » dans la loi sur la démocratisation du sport.

À la fin de la journée, tout ce que l’on veut, c’est jouer au football

« Notre combat n’est pas politique, pas religieux, il concerne le sport et seulement le sport. À la fin de la journée, tout ce que l’on veut, c’est jouer au football, maintient Founé Diawara face aux caméras. Nous avons le droit d’être là ! »

« Il y a encore quelques jours, des joueuses n’ont pas été autorisées à participer aux matchs », s’émeut la jeune femme. L’épisode est intervenu à Roissy-en-Brie (77), le 17 juin dernier. « Les arbitres ont demandé à deux joueuses de sortir du terrain. En solidarité, le reste de l’équipe a refusé de jouer », expose Founé Diawara. « Ces joueuses avaient pourtant joué tout le reste de la saison », souffle-t-elle.

Vers des sportifs moins lisses ?

Le Rapporteur, lui aussi, a eu une pensée pour ces joueurs « qui refusent de se conformer au règlement de la FFF et qui doivent faire un trait sur leur carrière » du fait du « monopole » de l’instance footballistique.

Cette dernière promeut « une vision du sport aseptisé », abonde Me Marion Ogier. « L’ambition du sport est l’intégration et la cohésion », argue l’avocate. Au-delà de question du voile, le règlement de la FFF serait « peu en phase avec la réalité sociologique du sport et a fortiori du football », remarque le Rapporteur. « Le football permet à des personnes appartenant à des groupes sociaux différents, qui ont peu l’occasion de se rencontrer dans d’autres circonstances, de se fréquenter. » 

« Comment peut-on promouvoir la cohésion sociale si l’identité des joueurs est dissimulée », s’interroge-t-il. Les deux requêtes présentées au Conseil d’État pourraient de fait provoquer des grands bouleversements dans la sphère sportive tant elles ont en commun d’abroger la neutralité (politique, religieuse, spirituelle, philosophique et syndicale) imposée traditionnellement aux sportifs. Sur le sujet du port du voile, le combat pourrait se poursuivre cette fois-ci sur les terrains de basket. En attendant la décision du Conseil d’État qui sera rendue d’ici trois semaines.

Méline Escrihuela

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