Il est 21h10 à la salle de concert parisienne La Flèche d’Or, lorsque Fatou, Aminata, Mariame et Meïté montent sur scène, accompagnées d’autres collectifs. Les quatre femmes captent l’attention du public venu en nombre pour soutenir les héroïnes de la soirée. Vêtues de tee-shirts colorés sur lesquels on peut lire l’inscription La cantine des femmes battantes, elles prononcent tour à tour des discours sous les applaudissements nourris de l’assistance.

Ces mères de familles remercient chaleureusement le public et racontent les débuts de leur projet : « Nous avons laissé pour certaines nos enfants dans nos pays pour s’en sortir. Une fois en France, on ne voulait pas être à la rue donc on a décidé de se battre et de créer quelque chose pour l’avenir de nos enfants. C’est pourquoi on a choisi ce nom pour notre association. Nous sommes fières de nous et de nos clients. Merci à vous ! », clame avec émotion Meïté.

Tout a commencé il y a quatre ans, dans un squat de Saint-Denis où les quatre fondatrices vivaient dans une situation de grande précarité. Dans cet endroit, il y avait une partie habitation et une autre avec des activités sociales, des ateliers pour les enfants, des cours de français. Mais fin 2019, elles ont été expulsées des lieux.

Un projet associatif pour relever la tête

Pour s’en sortir et aider d’autres femmes, elles ont alors l’idée de mettre en place un projet associatif et de créer la Cantine des femmes battantes. Des bénévoles comme Rémi* et Tarik présents à leurs côtés depuis le début se chargent de la logistique et de l’administratif.

Le succès est au rendez-vous pour l’association qui existe depuis trois ans. Aujourd’hui, elles ont réussi à stabiliser leurs situations locatives. Fatou qui avait quitté le Sénégal en 2010 pour échapper à un mariage forcé, vit désormais dans un appartement à Saint-Denis avec ses trois enfants.

Les cuisinières sont rémunérées grâce à un système de caisse commune qui sert aussi à couvrir les aides à la scolarisation des enfants, des frais d’hospitalisation, ou encore la mise à l’abri de certaines d’entre elles.

Un collectif qui s’agrandit

Dorénavant, en plus des fondatrices, une équipe d’une dizaine de bénévoles réguliers et six autres cuisinières (qui interviennent sur des évènements ponctuels) permettent de faire tourner l’association à plein régime. Pourtant, la cantine a connu des débuts difficiles car « trois mois après [la création], il y a eu le confinement. Nous nous sommes concentrés sur les livraisons et ça nous a permis de tenir », affirme un des bénévoles historique.

« Je suis engagé depuis un an dans le collectif et j’ai été impressionné par leur activité. On reçoit beaucoup de personnes qui n’ont rien », explique Rachid, retraité de 73 ans. « Nous sommes là pour les aider et les rassurer », conclut-il en dégustant une grande assiette de thieb, un plat sénégalais composé de riz.

Cette année, on a vraiment voulu mettre l’accent sur l’échange avec d’autres cantines

Le profil des bénévoles est varié. Près de la cuisine, on trouve Auriane : « Je suis arrivée en décembre et j’aide à la création d’un futur site internet », précise la jeune femme de 25 ans. « Cette année, on a vraiment voulu mettre l’accent sur l’échange avec d’autres cantines. »

Des projets de restauration solidaire qui essaiment

Pour cet anniversaire, La cantine des femmes battantes a invité des collectifs qui interviennent dans le secteur de la restauration solidaire. Le but est d’échanger et de faire connaître ces dispositifs. Un plateau radio entre les groupes est prévu le dimanche pour laisser une trace des discussions qui auront lieu.

Aïcha, membre de l’association Les mamas de Grigny, se tient à proximité du DJ. À l’origine, les cuisinières de cette organisation vendaient des brochettes de viande devant la gare de Grigny, mais leurs marchandises étaient régulièrement prises par la police.

Avec le soutien de la mairie, elles sont parvenues à obtenir un local afin de cuisiner pour les immigrés et les sans abris. « Je connais les femmes battantes, on a fait une formation cuisine ensemble. Maintenant, notre groupe veut se faire connaître et ouvrir un restaurant à Grigny », indique la jeune femme de 32 ans, vêtue d’un boubou jaune.

J’aimerais bien voir une lutte pareille en Espagne pour les femmes immigrées

Un collectif de Barcelone a aussi fait le déplacement pour assister à la soirée. Top Manta est une organisation de vendeurs ambulants qui lutte pour les droits des immigrés depuis sept ans. « C’est un honneur d’assister au troisième anniversaire de mes sœurs. J’aimerais bien voir une lutte pareille en Espagne pour les femmes immigrées », détaille avec admiration Papa Laye, membre de Top Manta. « Ce que je vois ici, c’est un apprentissage ! »

Cette admiration est partagée par les membres de l’association toulousaine Saveurs d’exil. Une cantine solidaire qui propose à prix libre des repas pour les personnes précaires.

« Je veux échanger avec les femmes battantes parce que je suis fier de leurs parcours, témoigne Sadio. L’association à Toulouse m’a énormément aidée, car je vivais dans un squat en 2020. J’ai fait une formation en cuisine et grâce à eux, j’ai trouvé un logement », ajoute cet homme de 27 ans, bonnet gris sur la tête.

Pour l’avenir, la cantine des femmes battantes rêve grand

La soirée bat son plein à la Flèche d’Or et la salle ne désemplit pas. Les spectateurs se régalent des plats préparés par ces femmes. Au menu : Thieb poulet, viande, végé, pastels et bissap. Sur les coups de 22 heures, les tables sont déplacées pour laisser place à une piste de danse. Une piste prise d’assaut par les cuisinières et le public.

La réussite de l’événement réjouit les organisateurs qui ne manquent pas d’ambition pour la suite. « Nous aimerions avoir un local plus grand avec une épicerie annexe. On souhaite également créer un réseau d’entraide plus large qui ne soit pas que de la restauration pure et dure », indique un bénévole. La cantine des femmes battantes voit à présent les choses en grand.

Aïssata Soumaré

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