15h30. Les conversations chaleureuses des habitués couvrent la terrasse du café Au Pavillon lorsque Yanis commande un allongé au barman. Sourire aux lèvres, il s’installe en lançant des « salut ! » à la volée à celles et ceux qu’il croise.

« Grandir à Saint-Denis m’a très vite fait prendre conscience des inégalités sociales du territoire. » Maraudes, distributions alimentaires, cours d’alphabétisation… Son investissement à La Croix Rouge puis, dans le mouvement contre la loi travail ont marqué le début de son engagement. C’est aussi un tournant dans sa conscientisation politique. « J’y ai appris plein de choses politiquement, mais c’était un milieu très inaccessible, en AG le vocabulaire était imbitable », pointe Yanis.

Un constat qui l’a poussé à créer d’autres espaces avec des camarades de Saint-Denis et de l’université de Paris 8, concerné·es par les réalités sociales du quartier. Depuis sa création, il y a cinq ans, lui et d’autres bénévoles s’investissent dans le collectif de La Pride des Banlieues.

Iels luttent pour la représentation des personnes queers des quartiers populaires et la prise en compte de leurs revendications. Leur manifeste, qui met en lumière leur théorie et pratique politiques, a été publié le 24 mai.

Un manifeste comme outil de lutte

Page 38, première partie. « La Pride des Banlieues n’est pas un combat pour la visibilité, mais pour la représentation. » Les mouvements LGBTQI+, encore très parisiens et majoritairement portés par des personnes blanches, laissent peu d’espaces à leurs membres racisé·es, précaires, trans, handicapé·es. L’accès à la procréation médicalement assistée (PMA), qui exclut les personnes trans, intersexes et tient à l’écart les personnes racisées, illustre cette réalité.

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La PMA est d’ailleurs au centre des revendications de la Pride des Banlieues, cette année. Ces enjeux sont analysés et explicités dans leur livre. S’il s’agit d’un outil pédagogique et de visibilité des luttes portées par les personnes LGBTQI+ des banlieues, il est aussi « un guide du mouvement », selon Yanis. Gilliane Coudray, coordinateur de la Pride des Banlieues et auteur de la préface, parle aussi d’un « outil d’analyse des oppressions systémiques ».

Lors d’une présentation à la librairie La P’tite Denise, les militant·es du collectif rappelaient le pouvoir de représentation du manifeste. « Si tu restes invisible, tu restes un impensé et tu n’existes pas dans les lieux de pouvoir et d’institution. » Le livre est donc un outil politique de lutte, dont le titre n’est pas sans rappeler celui de l’essai de bell hooks, De la marge au centre, théoricienne du mouvement féministe intersectionnel.

Un processus d’écriture controversé

Si la Pride des Banlieues veut porter ses revendications au-delà des quartiers populaires, elle a d’abord été réalisée et pensée en tant qu’espace communautaire. Une Pride créée par et pour les personnes LGBTQI+ des quartiers populaires. Aujourd’hui pourtant, son organisation interne ne fait pas l’unanimité. Suite à la publication du manifeste, une voix dissidente s’est fait entendre. Celle de l’ancienne co-fondatrice et responsable politique, Farrah Youssef.

Très investie dans la Pride des Banlieues, elle a fini par prendre ses distances avec le mouvement qu’elle juge incohérent face aux principes qu’il défend. Dans un billet publié sur le club de Mediapart le 29 mai, elle déplore le manque de roulement à certains postes décisionnaires et des choix politiques qui se font progressivement aux dépens de l’espace communautaire.

« La stratégie communautaire est une nécessité politique et vitale pour nous. Sans communauté, je serais morte aujourd’hui », insiste-t-elle. Le conflit semble s’être cristallisé autour de la sortie du manifeste. Ce livre est né de la demande d’un éditeur indépendant qui aurait exigé de travailler avec un·e seul·e membre. Mais pour Farrah, le collectif n’aurait pas dû accepter. « Un éditeur qui ne veut travailler qu’avec une seule personne d’un mouvement communautaire n’est pas un éditeur avec lequel on devrait travailler. C’est contraire à ce que l’on revendique. »

Yanis et la majorité des membres de la Pride estiment que la priorité est de « créer un mouvement d’ampleur le plus long et non pas le plus pur, pour qu’il puisse s’agrandir et se pérenniser. » C’est la raison pour laquelle iels ont vu dans le livre l’opportunité de porter haut leurs voix et d’enclencher « un rapport de force ». La Pride des banlieues a également publié un communiqué pour répondre à ce billet.

Deux perceptions des priorités politiques qui soulignent l’importance des enjeux de représentation au sein d’un mouvement politique qui entend placer les personnes queers des quartiers populaires “au centre de la lutte”.

Adélina Paris

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