Cette nuit, j’ai mal dormi. Comme si c’était le lycée en personne qui m’avait achevée. Je suis finie, KO et par je ne sais quel miracle du saint esprit, dirait ma mère Véro, ce lundi nous n’avons pas de devoirs et le reste de la semaine non plus. La 1ère L, c’est costaud, frère ! T’as de ces textes à analyser popopo! Y’a rien à analyser du tout parfois, mais tu dois te mettre dans la peau d’un psychopathe qui voit des métaphores et autres figures de styles en tout genre, là où il y en a pas.

Et puis sans compter que les DM, les devoirs maisons, sont balèzes. La semaine dernière j’ai rendu un questionnaire, suivi d’un commentaire de huit pages. Ma mère était fière parce que j’avais noircie le papier, et Oxford, hein, attention ! Elle croit que ça fait mieux devant les profs une copie bien clean au papier bien épais. Ah lala si tu savais, Véro, on en a rien à cirer de la quantité, ce qui compte c’est la qualité !

« Ouais eh ben, on verra mademoiselle je-sais-tout, braille-t-elle de sa voix de rockeuse, une cigarette à la main et un chignon blond/poivre/blanc en bataille. J’ai été à l’école avant toi, et j’peux t’le dire, moi, hein ! T’as beau avoir du vocabulaire, si t’écris vingt lignes, t’auras pas plus de 5. Et ça ne me convient pas, ça ne te mènera nulle part. » Et ainsi naît un débat sur les copies, les notes, etc. Parler, parler, et reparler, c’est le truc de Véro, ça. Même épuisée par une journée de gue-dine, parler c’est son défouloir, et moi je suis la psychiatre qui hoche la tête et qui ne sert à rien, mais qui fait du bien.

Bref, la fatigue m’a empêchée de dormir. C’est chelou, oui je m’en doute. Non mais j’ai tellement habitué mon corps au taylorisme (oui enfin, façon de parler, mais c’est un peu du travail à la chaîne, quatre contrôles en une journée), que du coup, l’idée de n’avoir rien à faire me paralysait. 2H30, on est samedi. Samedi, c’est censé être le jour du shopping pour les unes, et le jour de foot pour les autres. Pour moi ça sera journée cocooning ou galère avec Heddy et Marvin… On verra. Pour l’instant, l’heure à la goinfrerie, j’ai faim ! Une faim de loup comme dirait l’aut’.

Arrivée devant le frigidaire, je suis face à un dilemme interplanétaire : y’a rien, je mange quoi ? Alors quand je dis rien, c’est que t’as le choix entre une bouteille de lait à moitié vide, du beurre Président, ou de la confiote à la rhubarbe. Et bien sûr les basiques des frigos : cornichons, ketchup, mayo, tomates qui servent à rien, sauces en tout genre et œufs. Mais à 2h30 du mat’, je risque de porter atteinte à ma vie si je mange de l’œuf.

Heureusement, dans le placard à céréales, y’a pas de céréales, mais une espèce de gros Tupperware rouge avec des gâteaux. Toutes sortes de gâteaux qu’on a reçus quand c’était la fête en septembre. Toutes les voisines ont donné une assiette de minimum vingt gâteaux. Fais le calcul, pour notre famille c’est limite un buffet, alors maman a rangé tous les petits gâteaux dans un Tupperware.

En ouvrant la boite, j’ai comme eu un flashback. Nous étions devant l’immeuble et toutes les mamans se réunissaient pour parler, les unes ont demandé des nouvelles de leurs gâteaux, quand Véro a ajouté : « Oh beh, ma foi, j’ai pas pu tous les manger, mais vraiment délicieux, c’est comme nous, hein, quand ce sera notre tour en décembre, je ferai tourner toutes sortes de bûches. » Quand j’ai dit ça à Heddy, il était mort de rire : « Véro elle tue tout, cousine ! » Ouais elle tue tout, c’est l’cas d’le dire…

J’allume donc la télé, et je regarde un vieux reportage sur les corbeaux au pays des Aztèques. Je blague bien sûr, je regarde la télé sans rien regarder de spécial. Une demi-heure après j’entends des pas, plusieurs pas, et le son de la serrure de la porte. Assise dans mon canapé, je reste bloquée, limite cachée sous une couette censée me protéger. La porte s’ouvre et qui voilà ? Mon frère Thomas accompagné de Marvin et Heddy, de grosses balafres sur le visage. Mon frère a son casque de moto à la main, il fronce les sourcils vénères. Et les deux zigotos baissent la tête…

« Mais puréééééééééée, mais il se passe quoi, là ? Vous faites la grève de la raison ou quoi ? Pourquoi vous êtes pas chez vous ? Wesh il est 2h30 et toi ? Et toi ? Toiiiiii ? Thomas, j’ai cru que tu dormais… » Pas de réponses, leur état m’inquiète, et le mien aussi, dans mes gros chaussons Simpson et mon pyjama fleuri. Thomas pose bruyamment le casque sur la table, Heddy et Marvin prennent une chaise, et s’assoient dans le salon. Heureusement Véro ronfle à mort. « Bon, vous m’expliquez, là, c’est quoi le délire ? » (A suivre.)

Silvia Sélima Angenor

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Silvia Sélima Angenor

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