Younes* mâchouille nerveusement les cordons de son sweat à capuche gris clair. Quelques jours avant d’avoir les résultats du brevet des collèges, l’adolescent a passé près de 48 heures enfermé au commissariat, puis au dépôt du tribunal de Bobigny. « Au commissariat, j’ai demandé à manger, un policier m’a répondu : “Crève comme Nahel” », raconte le collégien de 14 ans.

Sous les yeux de son père, Younes retisse le récit de ces derniers jours. Dimanche 2 juillet, dans l’après-midi, une descente de police a lieu dans son quartier. Les policiers arrivent vers son groupe de copains et procèdent à un contrôle d’identité. Ils se tournent vers Younes : « Ils ont pris mon portable et m’ont demandé de le déverrouiller. »

Sur son site, le ministère de l’Intérieur indique que seul un officier de police judiciaire ou un magistrat peut procéder à ce type de réquisition. Pour son avocat, Me Raphaël Kempf, la demande par des policiers dans ce qui apparaît être un simple contrôle d’identité est contestable.

Dans son téléphone, les policiers tombent sur une vidéo filmée par Younes. On y voit son visage encore enfantin en gros plan avant qu’il ne retourne l’objectif vers son ami. Sur un parking vide, en plein jour, son camarade tente d’allumer un pétard pyrotechnique près du commissariat de leur quartier.

Younes filme son ami à bonne distance, trois ou quatre mètres. Alors que son copain peine à allumer la mèche, Younes continue à reculer en criant : « Tu l’as, tu l’as ». Selon l’interprétation du père, le « tu l’as » aurait été compris comme « tue-la ». À  cause de cette vidéo, Younes est embarqué.

« Les policiers m’ont appelé pour me dire que mon fils était au commissariat. Ils m’ont dit qu’il avait commis des dégradations et proféré des menaces de mort », relate le père de Younes, à ses côtés, qui dit être tombé des nues.

Contacté par le Bondy Blog, le parquet de Bobigny détaille les faits reprochés : « attaque au mortier sur un commissariat » et « menace de commettre un crime ou un délit sur une personne de dépositaire de l’autorité publique ». Le parquet ne nous a pas indiqué sur quels éléments reposent ces qualifications. Selon Me Raphaël Kempf, le dossier reposerait exclusivement sur la vidéo filmée par Younes et le procès verbal des policiers.

« Si on trouve des mortiers d’artifice, on te frappe »

Le lendemain de l’interpellation de son fils, alors qu’il est au travail, l’électricien d’une cinquantaine d’années reçoit un appel de sa femme. Des policiers en civil sont en train de perquisitionner le HLM familial.

« Une policière est allée parler à ma mère dans le salon et les autres sont directement allés vers les chambres », décrit Younes, présent lors de la perquisition. Au cours du trajet vers son domicile, les policiers l’auraient menacé, assure-t-il : « Si on trouve des mortiers d’artifice, on te frappe ».

Il est 11 heures du matin. La perquisition est brutale, comme en témoignent les photographies prises par le père de Younes avec son téléphone. Sens dessus dessous, la chambre du garçon, qu’il partage avec ses frères, est retournée. Un mur a été défoncé. « Il y avait un petit trou, les policiers m’ont dit : “c’est une bonne cachette ça”. Et ils ont commencé à donner des coups de marteau », raconte Younes.

Au sol, des médicaments sont dispersés, « c’est pour mon diabète », indique le père. La PlayStation 5 de la fratrie a, elle aussi, été endommagée. « Mon aîné l’a achetée avec son premier salaire, déplore-t-il. Il avait galéré à en trouver une parce qu’il y avait une pénurie. »

Dans le salon, la mère de Younes est morte d’inquiétude quand lui parviennent les bruits qui émanent de la chambre. Une fois la perquisition terminée, les agents repartent avec une trottinette, un cutter et une cagoule. La mère suit son fils au commissariat et assiste à son audition face à l’officier de police judiciaire. « Il m’a reproché d’avoir filmé le commissariat et il a dit que des policiers m’ont vu tirer des pétards dessus, mais c’est faux », s’insurge Younes.

Lire aussi. À Bobigny, des dizaines de jeunes écopent de peines de prison ferme

Après cette audition, vers 21 heures, l’adolescent est déféré au tribunal de Bobigny, où il doit comparaître devant la juge des enfants. Younes fait partie des 132 personnes déférées devant la juridiction balbynienne, entre le 27 juin et le 7 juillet, à la suite des révoltes provoquées par la mort de Nahel. « Là-bas, ils m’ont enfin donné deux sandwichs. J’étais seul dans une cellule avec un petit banc, sans matelas », décrit-il. Au tribunal, Younes est présenté au procureur, puis à la juge.

« Même la juge a halluciné », assure le père, qui s’est plaint du traitement réservé à son fils et de la perquisition. L’audience « d’examen de la culpabilité » a été renvoyée en novembre ; d’ici là, Younes doit être suivi par un éducateur. « Ça ne peut pas faire de mal, souffle son père. Mais on est allé à l’adresse qu’ils nous ont donnée et on nous a dit qu’il n’y avait pas d’éducateur disponible avant septembre. »

Dans le département, en effet, les moyens disponibles pour mettre en œuvre les actions éducatives décidées par les juges des enfants sont à mille lieux des besoins – ce que le garde des Sceaux a omis de dire, au cœur des révoltes urbaines, lorsqu’il a pointé les responsabilités parentales, y compris « pénales ».

Le lendemain de sa libération, l’adolescent a décroché son brevet, il montre le diplôme en esquissant un sourire. Taiseux de nature, Younes parle encore moins ces derniers jours, remarque son entourage. Mais, il est admis dans un lycée professionnel. Son père en est fier. Comme lui, Younes veut devenir électricien.

Des relations dégradées avec les agents de police du quartier

Le père a insisté pour témoigner anonymement, car il est « angoissé ». À ce jour, il reste dans l’incompréhension vis-à-vis des moyens déployés contre son fils. « Il a 14 ans », répète-t-il en boucle.

Il témoigne aussi de la dégradation des relations avec la police. « Avant, on pouvait parler avec eux, mais aujourd’hui c’est différent. Ceux qui sont venus chez moi, ce sont des voyous, pas des agents de police ».

Son fils aîné a, lui aussi, eu maille à partir avec un policier durant les nuits de révoltes. Il rentrait à son domicile quand des agents lui ont intimé l’ordre de monter plus rapidement chez lui. « J’ai entendu du raffut dans le hall de l’immeuble et quand je suis allé voir, un agent tenait mon fils à la gorge d’une main en le maintenant contre le mur », raconte-t-il, choqué. La pression est vite redescendue et son fils n’a pas été interpellé, mais toutes ces histoires nourrissent des craintes.

« Les équipes [de police] qui descendent dans le quartier, on les connaît. S’ils ont un historique avec un jeune, ils vont plus facilement l’interpeller et je ne veux pas que ça arrive à mon fils », explique-t-il, les yeux fixés sur Younes. La veille du 14 juillet, son fils a de nouveau été contrôlé. « Pour voir si j’avais des mortiers d’artifices », relate, las, l’adolescent sous le regard inquiet de son père.

Héléna Berkaoui

Illustration : Célia Ch

*le prénom a été modifié

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