Sale temps pour aller tracter. Ce dimanche de novembre, le prétendant LREM à la mairie d’Aulnay-sous-Bois et son équipe nous ont invité à suivre un bout de campagne. La pluie battante calme un peu les ardeurs des marcheurs et c’est dans une brasserie du centre-ville qu’on les rejoint. Première observation : Benjamin Giami à la gueule de l’emploi. Brun aux yeux bleus, rasé de près et sourire affable. Un de ses bras droits va même jusqu’à évoquer une ressemblance physique avec le président de la République. Mouais. Pas sûre que ça aide par temps de crise sociale.

Cela dit, comme le président, Benjamin Giami a un côté propret et surtout un CV bien garni pour ses 34 ans. Passé par Sciences Po, il y est aujourd’hui maître de conférences en droit public. Côté politique, le jeune marcheur a, lui, ferraillé à droite. Une droite plutôt juppéiste, tient-il à souligner, qui le mènera à devenir adjoint de l’actuel maire d’Aulnay-sous-Bois (LR), Bruno Beschizza, en 2014. Un amour qui durera trois ans : en 2017, c’est le divorce. Mais n’y voyez aucune coïncidence avec la victoire d’Emmanuel Macron et les opportunités politiques créées par l’émergence de ce nouveau parti, nous prévient-on. « La prise de distance démarre en janvier 2017 et même avant. » 

Parmi les candidats investis par La République en marche dans le 93, une bonne partie a également siégé aux côtés des majorités en place. Dur dans ses conditions de ne pas les voir comme des candidats se rêvant calife à la place du calife. De son côté, Benjamin Giami s’en défend énergiquement et se désolidarise du bilan de Beschizza. Le candidat dépeint une politique « amateuriste ». En matière d’urbanisme, le maire « fonctionne au coup par coup, sans vision globale » et le rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) sur sa gestion est accablant, pointe du doigt Giami. Bref, le maire n’a rien pour lui et même sur le plan de la sécurité, l’ancien policier ne serait pas au rendez-vous : « On est toujours sur une poudrière », tacle le marcheur.

Enfant de l’Aulnay pavillonnaire, Benjamin Giami est assez à l’aise dans le sud de la ville. Un commerçant lui demande des nouvelles de son père, il serre des pinces mais croise aussi des adversaires qui lui balancent « Beschizza va te bouffer » et même un gars un peu excité qui l’appelle « Benjamin 1er », association peu flatteuse avec le président de la République. Sur le marché de la Rose des Vents, côté 3 000, c’est un peu moins fluide. Mohamed Ayyadi, l’ancien bras droit de Beschizza, et Leila Abdellaoui, ancienne membre du cabinet de l’ex-maire socialiste Gérard Ségura, jouent les entremetteurs.

Après cette petite visite bien quadrillée, on a tenté de connaître le sentiment du maire, lui qui s’est porté candidat à sa propre succession, mais on s’est gentiment fait éconduire. En revanche, en contactant un Aulnaysien engagé dans la vie associative locale et pas trop farouche envers Bruno Beschizza, le ton est sévère : « Moi, je les appelle le parti des traîtres, ils ont retourné leur veste, charge-t-il. Pour lui, ça ne fait pas un pli, ils font de la politique pour faire de la politique ». 

A Saint-Denis, un candidat arrivé au moment des élections

Dans une autre ville stratégique du 93, Saint-Denis, c’est Alexandre Aïdara qui mène campagne pour la République en marche. Un temps référent LREM pour le département, le candidat a un profil qui varie du précédent puisqu’il ne vient pas de Saint-Denis. Un point faible forcément exploité par ses concurrents au premier rang desquels… Alexandre Benalla qui l’a qualifié « d’énarque migrateur » sur Twitter. Au passage, on ne sait toujours pas si l’ancien chargé de mission d’Emmanuel Macron brigue sérieusement la mairie de Saint-Denis. Mais passons.

Après avoir un peu galéré, on est finalement parvenu à rencontrer Alexandre Aïdara dans sa permanence dyonisienne, rue de la Boulangerie. Le local a pignon sur rue, une petite poignée de militants nous accueille en attendant l’arrivée de leur candidat. Sous les affiches qui décorent les murs blancs, le directeur de campagne se remémore la précédente législative – « c’était dur ». La candidate LREM, Véronique Avril, s’était faite pincer pour avoir acheté puis mis en location un appartement dans un immeuble insalubre bien au-dessus du prix du marché. Une histoire plus compliquée qu’il n’y paraît, jure-t-on. Quoiqu’il en soit, la députation lui est passée sous le nez au profit du communiste Stéphane Peu. Candidat sur la sixième circonscription de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Pantin) en 2017, Alexandre Aïdara s’était lui aussi fait balayer, par la France insoumise cette fois.

Mais revenons à nos municipales puisque Alexandre Aïdara arrive enfin. Chemise blanche, jeans, veste cintrée et large sourire, le marcheur revient spontanément sur le costard que ses opposants lui taillent : « Je ne suis pas devenu énarque à 22 ans, j’ai fait ça après pour me mettre au service de l’Etat. Entre moi et un énarque des beaux quartiers, il y a une distance énorme par mon parcours, mes origines, ma vision des choses. »  

Alexandre Aidara a déjà été candidat, aux législatives de 2017 à Aubervilliers et Pantin

Son parcours, justement, est aussi un argument de campagne. Né au Sénégal de parents instituteurs, Alexandre Aïdara a gravi les échelons passant par la prestigieuse école d’ingénieurs Centrale avant de se retourner vers le public, dix ans plus tard, passant là par le cabinet de Christiane Taubira. Venu de la gauche mais aujourd’hui très loin des communistes, par exemple, qui gouvernent Saint-Denis depuis la Libération.

« Il ne suffit pas de donner aux gens de quoi se nourrir et se loger, il faut les aider à sortir de la trappe à pauvreté », assène-t-il. Comment ? En favorisant la mobilité professionnelle, la formation. Un système qui marche surtout pour les classes supérieures comme il l’admet lui-même. Sa campagne, il compte pas mal l’axer sur la sécurité « le problème numéro un, car Saint-Denis est une des villes les plus dangereuses en France ». 

Un problème qui n’est pas uniquement à imputer à l’Etat, selon lui. « La police municipale est maltraitée, il y a turn-over trop important, pas assez d’effectif, la vidéosurveillance n’est pas bien utilisée (…) Il faut créer une vraie police municipale qui soit formé, valorisée et bien payée parce que c’est une ville qui a beaucoup d’argent mais il part dans plein de subventions… Quand on regarde les finances, on est étonné parfois. »

Du côté de la municipalité, le maire PCF Laurent Russier brocarde une candidature « en décalage complet avec les priorités des Dionysiens ». La timide politique du gouvernement dans les quartiers est un élément à charge contre le représentant de la Macronie sur place et le procès en parachutage arrive un peu plus loin : « Alexandra Aïdara n’a aucune connaissance du territoire et de ses enjeux, son projet n’est en direction que d’une infime minorité de Dionysiens (…) Il prétend vouloir “ramener les Dionysiens dans la République” : les 110 000 habitant-e-s apprécieront ! »  

Quand LREM fout le bazar chez les partis traditionnels

Pour le moment, sur les 40 communes du département, 23 comptent un candidat – dont deux candidates seulement – investi ou soutenu par LREM. Et ce sont les candidats soutenus qui font le plus de remous tant à droite qu’à gauche. Au PS, le psychodrame s’est centré autour du soutien à Olivier Klein, le maire de Clichy-sous-Bois nommé président de l’ANRU par Emmanuel Macron en 2017.

Cette belle prise de guerre a fait hurler la fédération socialiste du 93 qui a appelé à son exclusion du PS. Mais c’est au niveau national que l’histoire a été tranchée. Le maire de Clichy-sous-Bois n’a pas été exclu et Mathieu Monnot, le premier secrétaire de la fédération PS du 93, le garde en travers de la gorge. « J’ai toujours voulu fermer la porte à double tour à En Marche mais la ligne n’a pas changé : on ne choisit pas ses soutiens mais il est impératif de témoigner son opposition au gouvernement », affirme-t-il, considérant qu’Olivier Klein n’a pas respecté le deal en mettant le député LREM Stéphane Testé (ex-socialiste et maire adjoint de Clichy-sous-Bois), sur sa liste. On comprend quant à nous que le PS n’a pas particulièrement intérêt à se défaire de candidats éligibles après l’effondrement de ces dernières années.

A Romainville, le collectif Romainville unie, dirigé par l’ancien premier secrétaire de la fédération socialiste (2007-2017) Philippe Guglielmi, est soutenu par LREM. En plus de socialistes et de la cheffe de file LREM, Cécile Philippe, le collectif compte un vert, Stéphane Weisselberg. Mais Philippe Guglielmi, lui, ne s’attire pas les foudres de la fédération PS du 93 qui nous renvoie à son communiqué jugé suffisamment clair : « Se rassembler, ce n’est pas se ressembler, ce n’est pas s’aligner. Chacun sait les débats nationaux qui peuvent nous opposer, c’est le sel de la démocratie. Pour ma part, je ne renie rien de mes engagements d’adhérent au Parti socialiste, parti d’opposition. » 

Du côté de la droite, le dilemme est sensiblement le même. Les candidats soutenus par LREM ne sont pas exclus du parti. Deux maires sortants LR ont reçu les bénédictions du parti présidentiel, Pierre-Yves Martin à Livry-Gargan et Claude Capillon à Rosny-sous-Bois. Ce dernier dirige aussi l’EPT Grand Paris – Grand Est. « Chacun prend ses responsabilités », s’agace le sénateur LR du 93, Philippe Dallier. Comme Mathieu Monot, il s’en prend à la stratégie de LREM : « Ils se sont rendus compte de la difficulté de monter des listes et là ils font leur marché avec une stratégie quantitative : peu importe comment on est élu, il faut être élu ».

Un manque de cohérence qui s’exprime par exemple à Villemomble où LREM soutient un ancien de la majorité, Jean-Michel Bluteau, plus à droite que le maire LR, selon le sénateur. Mathieu Monot résume le sentiment général dans une métaphore filée : « LREM, c’est la stratégie du coucou, ils viennent faire leur nid dans celui des autres. Le PS devait être un Phoenix qui renaît de ses cendres. À force de se laisser faire, il finira déplumé. J’ai beau alerter, je crains que nous nous en rendions compte aux prochaines sénatoriales.  »    

Héléna BERKAOUI

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