Le 13 janvier 2018, la vie d’Aoua Diabaté s’effondre. Hismaël, son fils de 15 ans, est tué par un adolescent du même âge dans la rue de la Roquette, dans son quartier du 11ᵉ arrondissement de Paris. Un drame. Une mort qui en rappelle autres. Dans son livre « Y’a embrouille », sociologie des rivalités de quartier (Eds. Stock, 2023), l’universitaire, Marwan Mohammed, recense « au bas mot » 120 morts depuis 30 ans dans ces violences entre quartiers.

Après le décès de son fils, Aoua décide d’agir. Depuis 2020, avec son mari Magloire et leur fille Christine, elle milite « jour et nuit » avec leur association Hismaël Diabley Junior (HDJ) pour la paix et l’apaisement dans les quartiers, d’Aulnay-sous-Bois à Marseille en passant par « la Roquette ». 

Nous la retrouvons justement au parc de la Roquette, vendredi 27 mai. Elle est accompagnée de Mohamed Aknouche, éducateur spécialisé dans le 20ᵉ et soutien de longue date de la famille. Dans quelques jours, le 1ᵉʳ juin, Aoua et d’autres mères engagées dans des associations organisent une marche citoyenne « pour la vie dans nos quartiers » entre la mairie du 11ᵉ et la place de la République.

Un travail de long terme

« L’association est née avec les jeunes du quartier parce qu’il fallait un suivi psychologique. Il fallait les écouter, les protéger, car après le décès d’un ami, il y a l’envie de révolte, le chagrin, la haine », retrace Aoua. Un travail qui porte ses fruits. « Nous, on a pu vraiment calmer ces jeunes et travailler longtemps avec eux dans l’ombre. Maintenant, on est tous ensemble. » 

Depuis sa création, l’association Hismaël Diabley Junior multiplie les actions. « Depuis 3 ans, on organise chaque année une “journée pour la vie” avec plus de 500 jeunes et acteurs sociaux d’autres quartiers, ici au square de la Roquette. Il y a des activités sportives, des concerts, des débats », développe Aoua. Cette dernière s’est également mise en lien avec d’autres associations de mamans dans le 20ᵉ, le 19ᵉ, le 17ᵉ et ailleurs.

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« Quand il y a une descente prévue, on envoie des messages aux mamans dans toutes les langues pour qu’elles ne laissent pas sortir leurs enfants. Si on ne peut pas régler le problème, au moins on fait baisser la tension », explique-t-elle.

Aoua est régulièrement appelée par des habitants pour désamorcer et éviter un nouveau drame.  Son mot d’ordre ? « Apaiser, toujours et encore ». Mais le combat d’Aoua est une affaire de famille.

Un réseau d’actions

« Christine surveille les réseaux sociaux, Magloire part souvent seul le soir faire des maraudes, et moi, j’interviens un peu partout », résume-t-elle. Mohamed Aknouche confirme : « Aoua c’est quelqu’un qui passe des dizaines d’heures au téléphone du soir au matin. L’action, c’est son quotidien. Ce qui est admirable, c’est qu’elle a fédéré un cercle avec un comité d’organisation constitué d’une trentaine d’associations. C’est un énorme travail dont on ne se rend pas compte de l’ampleur ».

Récemment, Aoua a participé à une audition de prévention des rixes organisée par la députée Rachel Keke (LFI) à l’Assemblée nationale aux côtés d’autres associations qu’elle croise fréquemment. Parmi lesquelles le Collectif des Familles basé à Marseille qui organise une « marche combattante » dans la ville le 15 juin.

« Souvent, on partage les anniversaires de nos enfants qui ne sont plus là dans notre groupe, on se soutient », confie Aoua. Elle est aussi en contact avec l’association Quartiers Sans Violences à Vigneux-sur-Seine (91). Elle intervient à Garges-lès-Gonesse (95) avec Adama Camara de la série « Rixes », coproduite par Street Press et France Télévisions. Une série documentaire dont l’épisode 4 de la saison 2 était consacré à l’histoire d’Hismaël et l’engagement de son père Magloire auprès des jeunes du quartier.

En 2020, elle réalise le film « La chaîne qui nous rassemble » avec l’aide du vidéaste Damien Paillard. Diffusée sous la forme de 15 capsules de 3 minutes, elle donne la parole à des pères, des mères et des travailleurs sociaux en plein confinement au sujet des rixes. « On a fait plus de 25 projections dans des centres sociaux, encore samedi dernier à Garges dans un quartier très sensible. C’est l’occasion pour les jeunes de poser des questions sur Hismaël, sur le deuil, sur la prison », raconte-t-elle.  

Un film dans lequel participe la mère du jeune responsable de la mort de son fils en 2018, explique Aoua. « Au début, elle avait honte de me regarder, mais moi, je suis allée vers elle. Après le procès, on s’est appelées constamment et puis elle a accepté de témoigner dans mon film. C’était une responsabilité de parler, en tant que mère, du jeune qui a tué mon fils. » 

Une lente prise de conscience

Depuis plusieurs années, la question des violences entre quartiers commence doucement à sortir des rubriques fait-divers. Aoua en a fait les frais. « Quand il y a un décès, tous les médias sont là et puis ils partent et seuls les jeunes concernés restent. Le problème, c’est qu’ils ne traitent que le milieu sans parler du début ni de la fin. »

Quand son fils est mort, « beaucoup de choses qui étaient fausses ont été dites sur les réseaux sur mon fils », se rappelle-t-elle. « Si mon fils était délinquant, je n’aurais pas de problème à ce qu’on le dise, mais si ce n’est pas vrai, ça blesse beaucoup. »

À chaque fois qu’un enfant tombe et que j’accompagne une maman, c’est très dur

Depuis 2018, même s’il y a une certaine prise de conscience, les drames se répètent. « Ces deux dernières années, il y a eu une escalade », soulève Aoua. « Combien on a fait de marches blanches ? En janvier à Saint-Denis, il y a eu la mort de Sedan, 14 ans, puis quelques jours, après Farid, 18 ans, dans la même ville. Il faut dire les choses : ça touche surtout les enfants d’immigrés. À chaque fois qu’un enfant tombe et que j’accompagne une maman, c’est très dur. On n’y est pas arrivé avec des quartiers, c’est vraiment très dommage… » 

« Même dans l’esprit des jeunes, ça fait partie du quotidien, l’évitement d’un quartier se transmet de génération en génération », rajoute Mohamed. Tous deux expliquent que l’objectif de la marche du 1ᵉʳ juin est de toucher un public large : enfants, adultes, quartiers populaires ou pas. « Ça concerne tout le monde. »

« Il faut que les adultes prennent leur responsabilité »

« Il faut que les adultes prennent leur responsabilité dans l’espace public aussi, qu’ils osent intervenir auprès des enfants. Le jour où mon fils est décédé, il était 19 heures, dans une rue passante et tous les restaurants étaient ouverts, mais personne n’est intervenu », déplore Aoua.

Je n’ai plus de garçon, je n’ai plus à m’inquiéter du fait qu’il ne rentre pas à la maison, je le fais pour les autres

« Il faudrait faire des campagnes de sensibilisation comme pour les victimes de la route sur la thématique des embrouilles de quartier, intervenir dans les établissements, faire poser des plaques commémoratives. Rien de tout ça n’existe aujourd’hui. Mais il n’y a pas de fatalité. Peut-être que cette marche va même sauver quelqu’un », s’exclame Mohamed.

Une marche qui représente beaucoup pour Aoua. « L’idée, c’est de rassembler les jeunes et de célébrer la vie. Moi, je n’ai plus de garçon, je n’ai plus à m’inquiéter du fait qu’il ne rentre pas à la maison, je le fais pour les autres. Ça représente beaucoup pour moi. Samedi, on sera tous ensemble. »

Dario Nadal

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