Autour de la table, les Babayagas prennent place, entourées de leurs amies et d’étudiantes curieuses. Ce nom fait référence aux sorcières des contes russes : figures surnaturelles et féministes. Catherine Vialles, babayaga depuis dix ans, tient à le rappeler : « Nous ne sommes pas une maison de retraite ! » Depuis le scandale Orpea, les candidatures pour intégrer les Babayagas pleuvent, mais les profils ne correspondent souvent pas à l’esprit de l’association.

Imaginé par Thérèse Leclerc, militante féministe, le projet de la Maison des Babayagas est né en 1999 lors de la création de l’association. La canicule de 2003 replace les personnes âgées au centre du débat public et la mairie de Montreuil promet un terrain au Babayagas. Les travaux commencèrent en 2011. La construction des HLM du 6-8 rue de la Convention a été pilotée par l’OPHLM, la mairie et l’architecte, Sami Tabet. Les fondatrices du projet n’auront la main que sur des détails de la construction – des murs blancs et pas orange comme prévu. En février 2013, l’immeuble est enfin investi par vingt-et-une babayagas, à présent locataires. Dix ans après, la relève des Babayagas s’affaiblit et cherche un nouveau souffle.

La pandémie comme un coup de grâce

Flora Fernandez, 80 ans, ancienne professeure d’espagnol, habite un 30m² au troisième étage. Sa mère a aussi vécu trois ans dans l’immeuble avant de décéder. Elles étaient voisines de palier. Sa voix est teintée de réjouissance et de nostalgie quand elle parle des années d’avant-Covid. « Nous n’avions aucune journée de libre. Il y avait toujours quelque chose de prévu : peinture, atelier d’écriture, exposition, photographie, etc. », explique-t-elle en nous montrant des anciens programmes d’activités. « Ça en était même fatiguant », ajoute en souriant Marie-Christine, habitante du deuxième étage, ancienne avocate arrivée en 2013 sous les conseils d’une amie. C’est là que réside toute l’essence de la Maison des babayagas : partager, recevoir et militer. Parmi les archives de Flora, une affiche fait un grand effet dans l’assistance : celles des « Babatagueuses ».

On était toutes restées chez nous pendant un mois

Catherine nous tend l’affiche en se rappelant : « C’était vraiment super, on avait fait des tags de portraits de femmes comme Louise Michel avec des jeunes colleuses féministes [lors d’une journée du 8 mars, NDLR]. » Cette dernière avait pris connaissance du projet des Babayagas pendant une apparition de Thérèse Clerc à la télévision qui appelait aux candidatures. Elle y pensait, d’abord, pour sa mère.

Dans la discussion, une ombre plane. Le Covid-19 a mis fin à l’engouement des Babayagas. « On était toutes restées chez nous pendant un mois », témoigne Catherine. Elles parlent d’une grande fatigue, mais d’un grand plaisir de remettre le couvert. Depuis le 3 mars 2023, Est Ensemble Habitat organise des ateliers autour du jardin et de la permaculture au 6 rue de la Convention – l’occasion d’entretenir leur potager.

Leur héritage : sororité et indépendance

Cette deuxième génération de Babayagas a du mal à trouver une succession. « Nous n’avons aucune main sur la sélection des habitants de cet immeuble. Plusieurs dossiers que l’on avait proposés ont été devancés par des personnes en urgence sociale qui avaient besoin d’un logement rapidement. C’est bien sûr important de loger les personnes en détresse, mais elles ne connaissent pas notre collectif et n’y participent pas », soutient Mina, une Babayaga plasticienne. Sur les vingt et un appartements de l’immeuble, seulement dix sont occupés par des Babayagas.

Nous sommes indépendantes, mais soudées

Au début du projet, deux appartements étaient octroyés à des jeunes en début de carrière professionnelle pour éviter de transgresser l’interdiction de lieux discriminants des HLM en réservant cet immeuble aux femmes de soixante ans uniquement. Le cœur serré, Flora Fernandez se remémore les anciennes : « Nous ne sommes pas médicalisés donc on ne peut pas se permettre de garder quelqu’un qui perd son autonomie. Les appartements sont aménagés pour des personnes handicapées avec des lavabos d’une hauteur adaptée ou un sol antidérapant, mais c’est tout. Nous sommes indépendantes, mais soudées. »

La maison des Babayagas reste un projet unique et plein d’avenir. Profondément enthousiastes, ces femmes ont su rétablir une justice sociale en permettant à des personnes âgées de réinventer le vivre ensemble en évitant la fatalité de la vieillesse.

Lou Attard

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