« Puisse la mort de Flora être le dernier féminicide de France et de Bondy. » Par ces mots, la tante de Flora Bissard termine son discours sur le parvis de la gare de Bondy. Avec force et émotion, elle rend hommage à sa nièce de 34 ans, tuée le 11 février dernier par son conjoint, dans leur appartement rue Roger Salengro à Bondy.

Ce mercredi, à 18 heures, plusieurs centaines de personnes se sont réunies sur l’esplanade Claude Fuzier, devant la mairie de la ville. L’atmosphère est lourde sur l’Avenue de la République qui mène à la gare. Silencieusement, familles, amis et collègues de Flora avancent derrière une grande banderole blanche. Dans certaines mains, des affiches noires, avec inscrit en lettres blanches :  « Hommage à Flora » et « Stop féminicides ».

Trois féminicides en quelques jours dans le 93

Flora Bissard entre dans la série macabre des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint violent, déjà beaucoup trop longue depuis le début de l’année. D’après le décompte tenu par plusieurs associations, 23 femmes sont mortes sous les coups de leur mari depuis janvier.

Une série noire aussi pour la Seine-Saint-Denis. Trois féminicides ont été perpétrés dans le département en quelques jours. Assia, 46 ans, a été étranglée par son époux, le 30 janvier à Montreuil. Son corps démembré a été retrouvé deux semaines plus tard dans le parc des Buttes Chaumont. Le 13 février, deux jours après le décès de Flora, la ville de Sevran s’est trouvée endeuillée suite à la mort de Valerya, 51 ans, qui a succombé à de multiples coups de couteaux portés par son mari.

Les hommes violents sont dangereux, ces femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes

Une fois la marche arrivée devant la gare, à deux pas du lieu du drame, le Maire, Stephen Hervé, des responsables d’associations et la tante de Flora se relaient derrière un micro disposé sous un petit barnum floqué du logo de la ville de Bondy. « Qu’au XXIe siècle, en France, des femmes meurent encore sous les coups de leur conjoint, est insupportable, s’est insurgée Ernestine Renai. Les hommes violents sont dangereux, ces femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes », a ajouté la responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes dans le 93.

Anne-Marie, membre l’association SOS femmes basée à Bondy, abonde : « On a organisé une première marche silencieuse en 2005, On est en 2023 et les féminicides persistent. » Et pour cause, au XXIe siècle, le nombre de femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint ne diminue pas. Les dernières années, la tendance est même à l’augmentation.

La parole se libère, mais le mal est profond

« Il faut ouvrir ses yeux, déboucher ses oreilles pour percevoir les moindres signes, avertit Marie-Christine Mourgue de SOS femmes. Plus de 200 000 femmes par an déclarent être victimes de violences. Ces femmes, il y en a autour de nous. » L’association est membre de la fédération nationale Solidarité Femmes qui gère le numéro d’urgence 3919. « Ce sont des appels anonymes et gratuits », précise-t-elle.

Les discours pointent les freins que peuvent rencontrer les femmes victimes de violences conjugales : ne pas oser parler le pas et avertir son entourage. « Avant de sonner à la porte du commissariat, une femme passe en moyenne 40 fois devant cette porte sans oser entrer », déplore le maire de Bondy.

Une réflexion de fond à mener, des moyens à engager

Pourtant, les dernières années, particulièrement depuis la vague #MeToo, la parole se libère et parler de féminicide n’est plus tabou. D’après l’Observatoire des violences faites aux femmes du 93, les signalements et plaintes pour violences conjugales ont considérablement augmenté les dernières années. On note une augmentation de 84 % des plaintes pour violences conjugales entre 2017 et 2022. Mais, encore une fois, les féminicides perdurent.

Il faut donner des moyens à tous les niveaux. Les femmes parlent, mais il ne se passe rien.

« Il y a surtout à faire un travail de sensibilisation et de remise en question de la place de chacun et de chacune dans la société », avance Anne-Marie. Khadija, une voisine bondynoise, est venue prendre part à la marche silencieuse. Elle tient une grande pancarte cartonnée avec l’inscription « repose en paix. »

« Il faut donner des moyens à tous les niveaux. Les femmes parlent, mais il ne se passe rien. Il faut un vrai suivi, des interlocuteurs formés à ces questions au niveau de la police et de la justice », explique-t-elle. Un point de vue partagé par Marie-Christine Mourgue, qui évoque même la nécessité de la création d’une juridiction dédiée.

En attendant, tous les deux jours et demi en moyenne depuis le début de l’année, une famille est endeuillée en France. Flora, elle, laisse derrière elle quatre enfants dont deux d’un premier mariage. La police était intervenue un samedi matin après avoir été alertée par un voisin qui l’aurait entendue crier à son balcon : « Appelez la police, mon mari va me tuer. »

Une fois sur place, les forces de l’ordre trouvent la jeune femme inanimée, son époux assis sur le canapé, hagard. La jeune femme décédera finalement l’après-midi même, à l’hôpital.

Les quatre enfants de Flora pris en charge grâce au protocole féminicide

Les quatre enfants de Flora ont été pris en charge à l’hôpital Henri Mondor pour des soins médicaux et psychologiques dans le cadre d’un « protocole féminicide ». Ils seront ensuite placés provisoirement. Ce nouveau protocole a été expérimenté en Seine-Saint-Denis dès 2015 et généralisé au reste du pays seulement en 2022. « Aujourd’hui, le père n’a plus d’autorité parentale sur ses enfants, explique Ernestine Renai. C’est quelque chose d’important et de nouveau que nous avons gagné par nos batailles. »

La soirée se termine à Bondy, la famille et le maire déposent une gerbe de fleurs devant un portrait de Flora, rayonnante, dans des habits de cérémonie oranges et blancs. Chacune et chacun écrit quelques lignes dans un livre blanc à l’adresse de la famille. La mémoire de Flora rappelle à tous qu’un immense chemin reste à parcourir pour mettre fin à la violence des hommes envers les femmes.

Névil Gagnepain

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