Que n’avait-on pas entendu sur cette marche du 10 novembre ? Tribune « insignable », marche de la honte, marche contre la laïcité, manifestation islamiste, ombre des Frères musulmans… En arrivant à Gare du Nord, pourtant, rien de tout cela. Pas de prosélytisme, pas d’appel à la haine, pas de débordement… Ce n’est qu’une dizaine de milliers de personnes a minima qui, sous la pluie et dans le froid, chantent et reprennent en choeur les slogans du jour.

Malgré les polémiques, ils sont nombreux à tenir dans leurs mains des pancartes qu’ils brandissent jusqu’à la tombée de la nuit. Ils sont 40 000 selon les organisateurs, 13 500 selon le cabinet indépendant Occurrence. Sur le parvis de la gare, on se croirait dans le RER B un vendredi soir. La foule est dense et diverse, bien plus nombreuse aussi que lors des deux précédents rassemblements contre l’islamophobie, le 20 octobre et le 27 octobre. Une partie de la gauche a répondu présent : de nombreux élus sont là, pour certains armés de leur écharpe tricolore, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière et Eric Coquerel (LFI), Benoît Hamon (Géneration.s), Ian Brossat  (PCF) ou encore Esther Benbassa (EELV). « Jamais une manifestation antiraciste n’a subi de tels barrages » estime Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, qui qualifie cette marche d’« historique ».

Également présents, des représentants de syndicats étudiants comme Abdoulaye Diarra, vice-président de l’UNEF : « On fait partie des initiateurs de cette manifestation. C’est pour nous essentiel d’être là parce que l’islamophobie c’est une discrimination tout comme le sexisme ou l’homophobie. On sera aussi présents avec Nous Toutes contre les féminicides. Pour nous il y a un débat générationnel, la jeunesse est opposée à ces discriminations ». Quelques gilets jaunes sont aussi au rendez-vous. Jérome Rodriguez, au micro, apporte son soutien et invite les manifestants à le rejoindre samedi prochain pour l’anniversaire du mouvement. D’autres gilets jaunes trotskistes vendent leur journal en marge du cortège.

« Nous sommes aussi la nation », proclame une pancarte

Ils ont choisi de braver les vents contraires et les marées houleuses de polémiques pour apporter leur soutien aux citoyens musulmans. « Ça fait plaisir de voir des partis politiques qui nous soutiennent, ça rajoute de la crédibilité à la manif », estime une manifestante. Infirmière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, elle défile bras dessus bras dessous avec ses collègues.

Sofia, quant à elle, questionne la sincérité de ces hommes politiques et rappelle le caractère pacifique de la mobilisation : « Ce qu’on voit aujourd’hui, ça donne de l’espoir, ça fait chaud au coeur. On est tous Français et on veut tous vivre ensemble de manière apaisée. »

La présence de ces hommes politiques a apporté son lot de polémiques ces deux dernières semaines. En cause, la présence de certains noms parmi les signataires de la tribune d’appel à manifester. Simon est professeur de SES. Il est venu avec sa femme Anfèle, actuaire, de confession musulmane comme lui. « Quand il a fallu manifester pour Charlie, il y avait Netanyahu, le FN et toutes les pires crapules de notre société, rappelle Simon. Ce ne sont pas des débats, ce sont des polémiques qui n’ont rien de rationnel pour distraire l’opinion publique. »

Une des polémiques porte sur l’usage même du terme islamophobie. Au sein de La France insoumise, par exemple, le terme ne fait pas consensus. Ça n’a pas empêché représentants politiques insoumis et sympathisants de venir défiler. Olga, une ingénieure de 51 ans, est venue manifester avec un groupe de sympathisants LFI.

Kamel et Fati, un couple de retraités, partagent l’interrogation d’Olga et ne comprennent pas pourquoi on leur dicte comment s’habiller. « Je suis en France depuis 40 ans, je suis venu en tant que chercheur au CNRS, aujourd’hui je suis psychothérapeute. Je ne vois pas pourquoi on va me dire comment m’habiller. On ne me l’a pas dit il y a 40 ans, pourquoi on me le dirait maintenant ? J’aurais pu rester chez moi mais ce sont les valeurs de laïcité, de liberté, d’égalité qui m’ont amené à participer. » Sa femme, Fati, embraye : « On est installés ici, nos enfants ont fait leurs études ici. On le fait pour nous mais on le fait aussi pour les générations à venir. Si on se tait, cela veut dire qu’on accepte la situation. On est dans un pays laïc et on doit le respecter. »

Dans la foule, la solidarité était ainsi le maître-mot d’une foule loin d’être composée uniquement de citoyens musulmans. « Je pense qu’en tant que blanche et athée, c’est important d’être là, assure par exemple Lily. On est pas assez et je trouve qu’on a une part de responsabilité dans ce racisme, dans cette islamophobie. Je trouve que c’est important qu’on regarde ça en face aussi ».

Durant toute la manifestation, des appels à la fraternité entre les communautés juive et musulmane ont été entendus. Place de la Nation, Michèle Sibony, représentante de l’association l’Union juive française pour la paix (UJFP), souligne l’importance de la convergence des luttes dans un discours acclamé.

Venue avec Lily, une jeune professeure de yoga de confession juive souligne elle aussi combien sa présence ce dimanche lui paraissait indispensable.« Les musulmans, ils s’en prennent plein la gueule et ça me touche, confie-t-elle. La perte de liberté, c’est par eux que ça commence mais peut-être que ça va affecter tout le monde dans pas trop longtemps. Ils sont devenus des boucs émissaires. »

La manifestation se finit comme elle avait commencé, spontanément en chants. Les téléphones portables en guise de lampes torches illuminent la place de la Nation, tandis que la foule entonne la Marseillaise.

La foule devant l’humoriste Yassine Belattar, en fin de cortège à Nation

Maria AIT OUARIANE et Amina CHAGAR

Crédit photo : Coline BEGUET / Speos & Bondy Blog

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