Cet article a été publié pour la première fois sur Mediapart le 11 mars 2020

Tractages, porte-à-porte, réunions : à quelques jours du premier tour, tous les partis se plient aux mêmes rituels. Et sur les réseaux sociaux, beaucoup rendent consciencieusement compte de toutes leurs actions à grand renfort de selfies en bas des immeubles ou sur les places de marché à la fin d’une distribution.

Les membres du mouvement « Aubervilliers en commun » ne dérogent pas à la règle. « Elle est dure cette fin de campagne », confie Anaïs Bouhloul. Depuis le ralliement de La France insoumise à la maire communiste sortante, et le départ de certains militants qui ont rallié d’autres listes en cours de route, le mouvement s’est remis en ordre de marche. Il a fallu rattraper le temps perdu.

Jeudi 5 mars, il est 18 h 30, les militants ont frappé à toutes les portes du quartier Gabriel-Péri. « Quand on est nombreux, ça dépote », remarque Évelyne Yonnet-Salvator. L’ancienne sénatrice socialiste partage son expérience de l’exercice : « Le porte-à-porte, c’est tout dire en peu de temps pour ne pas embêter les gens. Et on commence tout en haut de l’immeuble et on descend. »

On habite tous à Auber contrairement à d’autres listes

Peu de gens ouvrent la porte… alors le flyer est glissé dans l’embrasure. Ce soir-là, ceux qui ouvrent, écoutent, acquiescent. Parmi les mots qui se veulent magiques glissés rapidement avant que la porte ne se referme : « Liste citoyenne sans aucun parti », « Regardez, on habite tous à “Auber” contrairement à d’autres listes. » Une habitante de l’immeuble croisée dans l’escalier écourte la conversation d’un : « On va lire et on va voir. »

Évelyne Yonnet en porte-à-porte. © LO

Évelyne Yonnet en porte-à-porte. © LO

Après le porte-à-porte, les membres du mouvement, dont la tête de liste Zishan Butt, se retrouvent au sein d’un des seuls lieux de vie du quartier Gabriel-Péri, la buvette des boulistes. Un petit bar, une télé qui passe des clips, des amis qui jouent aux fléchettes et plaisantent entre eux : « Attends, t’as ta carte électorale, toi ? » Au mur, l’affiche d’un candidat à la mairie de… La Courneuve. Il faut dire que le quartier Gabriel-Péri est limitrophe de la ville. Les militants le remarquent vite et décident de mettre celle de leur tête de liste juste à côté.

Il faut juste qu’il y ait quelques personnes influentes du quartier

Khir-Din Grid, membre de la liste, a 32 ans. Il a grandi dans le quartier. « Rien n’a changé ici, ça a empiré même, j’ai envie de dire. Cette cité est coincée entre deux zones pavillonnaires, La Courneuve est juste à côté… Ici, c’est la banlieue de la banlieue. Pour un petit problème, c’est la croix et la bannière pour le faire comprendre aux élus. On dirait que personne ne s’est posé à la mairie pour dire : “On va régler les problèmes.” En termes de commerces, y a rien et la maison de quartier est dos à la mairie. Quand j’étais petit, mon périmètre c’était la cité et le collège, je ne sais même pas comment j’ai fait pour en sortir. Les gamins qui sont dans cette cité, s’ils ne rencontrent pas quelqu’un, ils ne vont rien découvrir, rien connaître. »

Avant de quitter le quartier, Khir-Din Grid a réussi à organiser une rencontre entre Zishan Butt et certains habitants du quartier à la buvette justement. « Pas besoin qu’il y ait trop de monde, il faut juste qu’il y ait quelques personnes influentes du quartier, qui vont pousser les autres à aller voter… »

19 h 30, c’est l’heure de l’assemblée de campagne. En plus des membres d’Aubervilliers en commun, quelques citoyens sont là par curiosité. Parmi eux, Nawel Bouaouni. C’est son père qui lui a conseillé de venir. Il habite à Aubervilliers depuis plusieurs décennies mais n’a pas la nationalité française et donc pas le droit de vote. Ce qui ne l’a pas empêché d’assister aux réunions de tous les candidats, « en éclaireur », précise-t-il, pour sa femme et sa fille qui, elles, peuvent voter.

Sa fille a même failli être sur une liste, celle de Karine Franclet, la candidate de la droite et du centre. « Elle m’a proposé mais je n’ai pas trop le temps. Et aujourd’hui, je ne sais pas encore si je vais voter pour elle ou pour quelqu’un d’autre. »

Tout le contraire de Khadija qui, de son côté, a fait son choix. Mi-novembre, elle était déjà là pour le lancement de la campagne du mouvement Aubervilliers en commun. Elle avait confié ne pas savoir à qui elle donnerait sa voix. Quelques semaines plus tard, son choix est fait, ce sera la liste citoyenne de Zishan Butt.

« Cela fait des années que je ne vote plus, j’habite à Auber depuis 2010. J’en avais marre de voir que les structures sportives se dégradaient. Je me suis rendu compte qu’il ne m’était plus permis de ne plus voter. Zishan est natif et habite dans la commune, c’était la condition sine qua non. Je suis allée me renseigner partout. Beaucoup de gens m’ont parlé de Karine Franclet mais elle n’habite pas à Auber et ça, ça me pose problème. Si tu ne te lèves pas tous les matins ici, tu ne vois pas les problématiques. Si Zishan n’avait pas habité à Auber, je crois que j’aurais voté blanc. »

Des élus qui auront une formation de 6 mois

Ce soir-là, contrairement aux autres jours, aucun sujet spécifique n’est prévu à l’agenda. Le mouvement se demande quoi faire pour le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes. « Entre tous les tractages, le porte-à-porte à faire, difficile de pouvoir organiser autre chose », note Anaïs Bouhloul.

À l’occasion du tour de table, plusieurs sujets sont abordés. La sécurité d’abord, avec une mère de famille qui regrette de ne pas pouvoir laisser ses enfants jouer dehors. « Moi, quand j’étais petite, j’étais tout le temps dehors à Auber. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ! » La fracture numérique, le lien intergénérationnel, la propreté, autant de sujets phare qui se succèdent et auxquels Zishan Butt et ses colistiers tentent de répondre. La fonction d’élu suscite également beaucoup d’interrogations concernant l’indemnité, le nombre d’heures, le statut.

La tête de liste citoyenne Zishan Butt, au centre. © Latifa Oulkhouir / Bondy Blog

 

Zishan Butt précise qu’en cas d’élection, il quittera le Samu 93 où il officie en tant que médecin urgentiste et qu’il souhaiterait que les élus reversent, sur la base du volontariat, 5 % de leur indemnité à une caisse de solidarité à destination des plus démunis de la ville.

Enfin, les membres d’Aubervilliers en commun insistent sur la nécessité pour les élus de bénéficier d’une formation de six mois. « On a des élus qui signent des documents, ils ne savent même pas ce que c’est », regrette Samir Maizat.

Ce sont, entre autres, toutes ces idées-là que Zishan Butt est venu défendre lundi 9 mars au théâtre de la Commune à l’occasion d’un débat, organisé par le Bondy Blog, où tous les candidats étaient présents à l’exception de la maire sortante, Meriem Derkaoui (PCF). Son discours rodé et préparé, il a mis un peu de temps à le poser.

Ses partisans le reconnaissent : « C’est parce que c’est un diesel, après ça, il a été parfait ! Et puis faut pas oublier que ce n’est pas un professionnel de la politique. » Il ne reste que quelques jours à cette liste pour convaincre. Cela lui permettra-t-il de faire la différence le 15 mars ? « On va aller loin et jusqu’au bout », promet Samir Maizat. Les visages sont fatigués.

Latifa OUKHOUIR

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