A Saint-Denis, quelques centaines de femmes et d’hommes devraient particulièrement savourer ce samedi 14 mars en famille, au chaud à la maison. Et ce pour deux raisons. Primo, en raison de la crise sanitaire que traverse le pays et des consignes du gouvernement. Secundo, parce que les différents candidats aux élections municipales n’auront pas le droit de faire campagne demain, selon les règles du code électoral.

C’est donc le premier jour sans campagne depuis des mois pour tous ces militants qui ont consacré une majeure partie de leur temps et de leur énergie à faire élire leur champion. Ils sont 495 à être sur les listes, presque autant de femmes que d’hommes, et au moins autant à soutenir un des neuf candidats en lice.

Les Dionysiens ont le choix entre neuf listes

Présentons-les rapidement, d’ailleurs. A l’extrême-gauche, deux listes sont candidates, celle de Lutte ouvrière incarnée par Philippe Julien et celle du NPA de Cathy Billard. Ensuite, il y a le maire sortant, Laurent Russier, investi notamment par le PCF et EELV. Un de ses adjoints, Bally Bagayoko, se présente lui sous la bannière « Saint-Denis en commun », portée par la France insoumise.

L’affiche de Laurent Russier sur un panneau d’affichage, dans le quartier Pleyel / (C) KC

Ancienne figure locale du PS, rallié aux communistes depuis 2014, Georges Sali présente encore une liste avec son PSG, pour « Parti socialiste de gauche », mais sans Neymar. Le logo du PS, lui, est revenu à Mathieu Hanotin, comme celui de Génération.s. Après avoir échoué de 181 voix en 2014, l’ancien directeur de campagne de Benoît Hamon à la présidentielle retente sa chance avec son mouvement « Notre Saint-Denis ».

A sa droite, deux candidats qui insistent pour dire qu’ils sont résolument au centre. Alexandre Aïdara est le candidat de la majorité présidentielle et affiche les logos LREM, Modem, UDI et UDE derrière son « Changeons Saint-Denis ». La nuance est ténue avec « Saint-Denis Autrement », la liste de Houari Guermat, figure locale de la droite, qui part cette fois sans les partis, même l’UDI dont il est membre lui ayant refusé l’investiture. Enfin, Fetta Mellas mènera une liste « éco-citoyenne ».

Pour les candidat(e)s et leurs équipes, voir cette campagne se terminer ne doit pas être déplaisant tant ces dernières semaines ont vu passer les bassesses en tout genre. Guerre de l’affichage, intox sur les réseaux sociaux, attaques personnelles… Entre ce climat politique et les craintes liées à la pandémie du Covid-19, l’abstention risque bien d’être la grande gagnante de ce premier tour des élections municipales à Saint-Denis.

Entre Russier et Bagayoko, le premier tour sera une primaire

Sur les 110 000 habitants que compte Saint-Denis, seuls 45 000 sont inscrits sur les listes électorales. Ils devraient être à peine 20 000 à se déplacer dimanche, soit un habitant sur cinq. Reste à savoir quels choix feront ceux-là à l’approche d’un scrutin qui s’annonce particulièrement ouvert.

Le maire sortant, Laurent Russier (PCF), n’a pas été élu – il a pris la succession de Didier Paillard en cours de mandat. Elu travailleur et discret jusque-là, il n’a pas franchement réussi à imposer son style et sa personnalité à la tête d’une ville qui aime les leaders, des rois de France enterrés à quelques mètres de la mairie à Patrick Braouezec, maire emblématique de 1991 à 2004 et écarté par l’équipe de Russier. Il traîne aussi quelques boulets comme sa gestion du projet de rénovation urbaine au Franc-Moisin.

L’autre handicap de la candidature du maire, c’est qu’il doit faire face à une concurrence inédite : celle d’un de ses principaux adjoints, Bally Bagayoko. Ancien adjoint de Braouezec et de Paillard avant de devenir celui de Russier, Bagayoko a longtemps laissé la lumière à d’autres avant de se décider à y aller seul, cette fois-ci, sous l’égide de la France insoumise. Bien conscient de ses atouts qu’il égrène au fil de la discussion : « je suis un enfant de Saint-Denis », rappelle-t-il, une façon de s’opposer à Russier, arrivé sur le tard dans la ville ; « je représente la première force politique de gauche à Saint-Denis » (LFI a fait 15,6% aux européennes contre 9,7% pour  le PCF).

Elu depuis près de 20 ans, le Dionysien du cru, ancien joueur et entraîneur de basket-ball dans le club du coin, est un fin stratège sur les parquets comme en politique. Pendant cette campagne, il a joué un numéro d’équilibriste, celui de la distanciation sans rupture. La distanciation, car l’objectif affiché est d’arriver devant la liste du PCF au premier tour et ainsi gagner la « primaire » entre amis. Interrogé ce vendredi encore, Bagayoko assume porter une « méthode nouvelle » et un « visage nouveau » et il l’affirme : « Je veux être maire. »

Mais celui qui conduit la liste « Saint-Denis en commun » connaît trop bien les paramètres politiques locaux pour se risquer à insulter l’avenir. « Aucune force à gauche ne pourra gagner seule, reconnaît-il. Il y aura nécessairement un rassemblement sur des bases concrètes. » A moins qu’ils arrivent au coude-à-coude – et là, toutes les options sont possibles -, communistes et insoumis devraient se retrouver entre les deux tours derrière celui qui finira premier.

Pas question, dans cette éventualité, de s’envoyer des flèches trop pointues avant le premier tour. « Moi, je suis issu du milieu sportif et j’ai toujours cherché deux médailles : la médaille du vainqueur et la médaille du fair-play, sourit Bally Bagayoko. Les querelles, les petites phrases, je me suis assigné à ne pas tomber dedans et mon équipe aussi. Ça ne grandit pas la politique. Je n’étais pas candidat à déverser mon venin. »

Plaintes, tensions et frictions

Dans cette campagne, cette entente cordiale a plutôt fait figure d’exception. Les invectives n’ont pas cessé ces dernières semaines entre différents candidats. Quelques exemples, pêle-mêle. Laurent Russier a annoncé qu’il portait plainte, en tant que maire, contre Mathieu Hanotin pour une double page le visant dans son programme. Houari Guermat a porté plainte contre Alexandre Aïdara pour diffamation. Lequel lui a répondu qu’il porterait plainte, lui aussi, pour dénonciation calomnieuse si Guermat… ne retirait pas sa plainte (il faut suivre).

En outre, le local du candidat LREM a été plusieurs fois tagué et dégradé. Un jour, c’est même un homme cagoulé qui y a fait irruption pour insulter et menacer Aïdara et son équipe. Et, lors de son meeting du 6 février, quelques dizaines de militants de gauche, parmi lesquels au moins deux élus de la majorité, ont manifesté devant la salle où devait se tenir le meeting. Contraignant Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat dont la présence avait été annoncée, à renoncer à sa venue.

On décide de faire un tour à son deuxième meeting, le 27 février. Là, une première vision frappe : celle d’une demi-douzaine de vigiles qui filtre l’entrée, contrôle le contenu des sacs et quadrille la salle de la Légion d’Honneur. Prévu à 19 heures, le meeting commence avec près d’une heure de retard. Une petite centaine de personnes sont là, en contenant la quarantaine de colistiers présents et l’équipe de campagne. Pas la foule des grands soirs.

Alexandre Aidara lors de son meeting le 27 février / (C) IR

Le lendemain, on a rendez-vous avec le candidat LREM. Posé au milieu de son local de campagne, on l’interroge là-dessus. « Forcément, maintenant, les gens ont peur de venir, déplore-t-il. Mais, sur le terrain, on sent que ça monte. Personne ne nous claque la porte au nez. On a un très bon pressentiment. » Ndlr : en campagne, tous les candidats vous disent qu’ils « sentent que ça monte ».

Pendant près d’une heure, l’énarque esquive les coups et met quelques crochets. Parmi les directs que lui se prend en permanence, cette étiquette de parachuté qui lui colle à la peau. Mais lui l’assure, le fait qu’il ne soit arrivé à Saint-Denis que l’été dernier après avoir été candidat à Aubervilliers et Pantin en 2017 ne l’empêchera pas d’être maire.

D’abord, explique Aïdara, « (il) connaî(t) très bien Saint-Denis » : « J’y habite depuis le mois de juin, je vis tous ce que les habitants vivent et j’y ai porté un regard politique, je fais attention à tout. » Argument numéro 2 : ce sont les militants qui sont venus le chercher et ils l’ont accueilli les bras ouverts. Argument numéro 3 : « Dans l’histoire de France, ça s’est toujours fait. Hollande, Mitterrand, on leur a dit un jour ‘Allez à tel endroit car il y a besoin de ressources.’ » Enfin, argument numéro 4 : « le parachutage, c’est une star qu’on envoie à un endroit facilement gagnable. Je ne suis pas une star et on ne peut pas dire que Saint-Denis soit facile pour un marcheur. »

A l’heure de commenter sa campagne, Aïdara en est convaincu : « La victoire est possible. » Il rappelle que LREM est arrivé en tête à Saint-Denis aux européennes. C’est vrai. « Il y a un besoin de renouveau et de leadership ici, poursuit-il. Saint-Denis n’est pas au niveau où elle devrait être. » Comme Agnès Buzyn à Paris, l’ancien conseiller de Christiane Taubira veut « réconcilier » une ville coupée en 3, entre les cités au nord, le centre-ville et les quartiers plus attractifs au sud (La Plaine et Pleyel).

Un premier tour indécis

Par contre, pour la réconciliation entre les candidats, il faudra attendre. Aïdara n’a de cesse de pointer du doigt une « classe politique dionysienne violente, orgueilleuse et narcissique. » Son meilleur ennemi ? Mathieu Hanotin. « Il se positionne à l’extrême-gauche avec un programme de sécurité d’extrême-droite », tacle-t-il par exemple avec le sens de la mesure. Autres saillies sympathiques : « Moi, j’ai rassemblé, je ne suis pas entouré de jeunes de l’UNEF ou d’employés du conseil départemental » ; « Il a un défaut rédhibitoire, il gère sa carrière, c’est un politicien pur. »

Principal concurrent de Russier et principale cible d’Aïdara, Hanotin prend des balles de sa gauche et de sa droite. Et l’ancien député de la circonscription n’est pas en reste, puisqu’il a dédié un tract à ses deux adversaires. Sur le candidat LREM, Hanotin écrit : « Nous disons qu’(il) est le meilleur allié de Laurent Russier car seule une hypothétique triangulaire peut permettre au Maire non-élu de se maintenir au pouvoir. »

Mathieu Hanotin lors de ses voeux, le 11 janvier dernier / (C) IR

Ce sera un des gros points d’interrogation du résultat de dimanche. Va-t-on assister à un duel entre socialistes et communistes, comme en 2014 ? Dans cette hypothèse, le camp Hanotin croit fermement à une victoire, après avoir échoué de si près il y a six ans (49,5%). Celui qui est aussi conseiller départemental mène en tout cas une campagne sans accroc. Il est le premier à avoir dévoilé sa liste, le premier à avoir dévoilé son programme et ses réunions publiques font le plein.

Mais la politique dionysienne est pleine de mystères. Qui de Russier ou Bagayoko sera au deuxième tour ? Parmi les cinq autres listes, y aura-t-il une surprise ? Aïdara va-t-il atteindre les 10% suffisants pour se maintenir au second tour ? C’est désormais aux dizaines de milliers de Dionysiens inscrits sur les listes de trancher. Pour l’heure, les candidats et leurs militants n’ont plus grand-chose d’autre à faire qu’attendre et espérer.

Ilyes RAMDANI

Crédit photo de une : Eric Delion

 

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