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Le destin de la famille Esshaymi s’est fracassé le 10 octobre 2015. Ce jour-là, Othmane, 7 ans, emprunte l’ascenseur de son immeuble du Val Fourré (Yvelines) pour rejoindre son grand frère. Un peu plus tard, le garçon est retrouvé mort dans l’ascenseur, bloqué entre le premier étage et le rez-de-chaussée. Il a été asphyxié par le guidon de sa trottinette, après que celle-ci s’est coincée dans la porte.

Rapidement, la responsabilité de l’ascensoriste est mis en cause et confirmée par une première décision de justice qui établit que l’accident est lié à un dysfonctionnement des portes de l’ascenseur. Mais depuis, Otis n’a cessé d’exercer tous les recours possibles, mettant en cause la responsabilité des parents.

C’est ainsi qu’une nouvelle audience s’est tenue vendredi 18 octobre à la Cour d’appel de Versailles. Si OTIS a été reconnu responsable, la société a obtenu qu’un partage de cette responsabilité avec les parents de la victime soit étudié après une décision de la Cour de cassation.

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Contactée par le Bondy blog, la société* répond que ces recours « ont toujours visé à affirmer l’application d’une règle de droit que nous estimions ignorée ». Otis se défend en affirmant qu’ils ont proposé une transaction aux parties civiles « pouvoir poursuivre [leurs] démarches juridiques sans compromettre la situation de la famille ».

L’objet de cette nouvelle audience était donc la recherche d’une potentielle responsabilité partagée entre l’ascensoriste et la partie civile, c’est-à-dire la famille du jeune Othmane Esshaymi. C’est dans ce sens qu’avait statué la Cour de cassation le 24 octobre 2023 en censurant partiellement la condamnation d’OTIS.

Un périple judiciaire qui ravive les souffrances de la famille

Pour Soumia Esshaymi, la mère d’Othmane, ce recours représente un acharnement et ravive ses souffrances. « Nos avocats ont bien démontré que l’ascensoriste et le bailleur (Mantes en Yvelines Habitat, qui a connu une liquidation judiciaire depuis, ndlr) avaient une obligation d’assurer qu’aucun dommage ne soit subi par les locataires et les usagers », déplore Karima, une proche de la mère d’Othmane.

Si la responsabilité pénale de la société est définitivement reconnue, cette nouvelle audience implique pour la famille d’être à nouveau mis en cause dans le décès de leur enfant. « Mes avocats ont bien relevé qu’une telle démarche était honteuse. Le représentant d’OTIS était absent. Seule l’avocate de la défense était là et n’a plaidé que très brièvement », raconte Soumia Esshaymi.

En effet, le règlement intérieur de l’immeuble est invoqué pour chercher à imputer aux parents une négligence. Ce texte interdirait aux enfants de moins de 12 ans de prendre l’ascenseur seul, mais aussi d’y porter des objets dangereux et lourds.

« C’est l’ouverture des portes, cet espacement, qui a causé la mort de mon enfant. Ce n’est pas parce qu’il était seul ou qu’il avait pris sa trottinette. Seul ou accompagné, plus ou moins de 12 ans, cela n’aurait pas évité que l’entrebâillement provoque l’accident », s’indigne la mère d’Othmane. L’avocat général a plaidé en faveur des parties civiles, en écartant la responsabilité des parents et de l’enfant. Il a également affirmé qu’une petite trottinette ne représentait pas en un objet interdit dans un ascenseur.

Les ascenseurs défectueux, un problème dans les quartiers populaires

Cette nouvelle étape de la procédure a aussi été l’occasion de rappeler la lecture politique que font Soumia et ses soutiens. Des enquêtes et des expertises, mentionnées en 2020 dans le premier arrêt de la Cour d’appel, ont montré que 50 % des ascenseurs du parc immobilier dans lequel vivait Othmane présentaient les mêmes défauts d’entretiens et les mêmes risques.

Ce sont des multinationales qui brassent beaucoup d’argent et qui méprisent les gens des quartiers populaires

« Après ce qui s’est passé, ils ont fait des travaux. On attend qu’il y ait un drame pour faire mettre les moyens », s’offusque-t-elle. « Depuis le début, on partage l’analyse politique qu’il y a du racisme systémique qui s’opère dans toutes ces institutions que sont les bailleurs sociaux, les ascensoristes. Ce sont des multinationales qui brassent beaucoup d’argent et qui méprisent les gens des quartiers populaires », dénonce Karima.

Cette dernière évoque d’autres décès où les ascensoristes sont mis en cause dans des quartiers populaires. Fethi, 9 ans à Clichy-sous-Bois, Bilal, 4 ans en 2002 à Strasbourg, Ismaïl, 4 ans en 2018 dans un centre commercial d’Argenteuil. Farid, militant du FUIQP (Front Uni des immigrations et des quartiers populaires) y voit le signe des inégalités territoriales. « Très concrètement, on n’entretient pas les immeubles de la même façon quand on est dans le 78 ou le fin fond du 93, par rapport au 16ᵉ ou 17ᵉ arrondissement de la capitale. »

Farid met également en cause la position du représentant d’OTIS à l’audience. « On ressent une approche essentialiste, culturaliste et raciste. On sous-entend que les habitants des parcs sociaux ne savent pas utiliser ou prendre soin correctement des infrastructures, qu’il y a des problèmes de vandalisme », s’insurge-t-il.

Le droit et la justice comme solution politique ?

Les ascenseurs défectueux sont un problème majeur dans les quartiers populaires. La vétusté du matériel et les défauts d’entretien engendrent des pannes régulières, quand ce n’est pas un drame irréparable. Au quotidien, les personnes âgées et celles touchées par un handicap s’en trouvent fragilisées et isolées.

Si certains politiques s’emparent du sujet, les habitants s’organisent de leur côté devant les tribunaux. Soumia se bat ainsi depuis des années pour faire évoluer les pratiques d’OTIS et faire naître une jurisprudence sévère et préventive.

« Au civil, tout ce qu’il y a, c’est la symbolique de la réparation, de l’argent. Au pénal, il y a vraiment la condamnation. Et c’est la première condamnation pénale pour cette société, pour homicide involontaire. Nous avons obtenu une condamnation exemplaire et j’en suis fière », se félicite-t-elle. « Une condamnation pénale ouvre aussi des brèches. Si demain, il y a des affaires similaires, ce qu’on ne souhaite pas, il y aura des possibilités de les condamner plus facilement », fait remarquer Karima.

Pour Soumia et son entourage, il faudrait que des politiques volontaristes soient mises en place par l’exécutif. En parallèle de ces batailles judiciaires, naissent aussi peu à peu des initiatives législatives.

Des propositions de loi déposées sur le sujet

« Il y a plusieurs terrains, comme sur un chantier sur lequel on se répartit les tâches », explique Karima. D’un côté, Soumia travaille depuis longtemps avec le député écologiste de Mantes-la-Jolie, Benjamin Lucas, sur la question des pénalités, de la prévention d’accidents et du durcissement des obligations de résultat qui pèsent sur les ascensoristes et les bailleurs.

Et par ailleurs, la mère d’Ismaïl (un garçon de 4 ans victime d’un ascenseur défectueux décédé en 2018 dans un centre commercial à Argenteuil) qui travaille davantage sur la question de l’indemnisation et sur une proposition de loi avec le député LFI, Paul Vannier. Ils visent à créer un régime de responsabilité spécial. Certains travaillent aussi sur la question des stocks.

Lire aussi. Accidents d’ascenseur : une proposition de loi pour protéger et indemniser les victimes

« En France, il n’y a pas les pièces nécessaires aux réparations, c’est pour ça qu’elles peuvent prendre des mois. De plus, les pièces faites à l’étranger ont une fiabilité relative », indique Karima. Unifiées, ces différentes problématiques expliquent la difficulté à protéger les usagers d’ascenseurs et à obtenir justice pour les victimes.

Le verdict sera rendu le 22 janvier 2025. Soumia espère que cela marquera la fin de ce périple judiciaire et l’occasion d’enfin faire son deuil.

Louise Sanchez-Copeaux

*Contacté par mail, l’ascensoriste nous a répondu le 28 octobre. Nous reproduisons l’intégralité de leur réponse ici :

Nous sommes attristés par cet accident tragique et adressons nos condoléances à la famille. L’ascenseur impliqué respectait toutes les normes nationales. Otis regrette que cette affaire soit toujours en cours. Les recours ont toujours visé à affirmer l’application d’une règle de droit que nous estimions ignorée. C’est pourquoi une transaction a été proposée aux parties civiles il y a plusieurs années : Otis souhaitait pouvoir poursuivre ses démarches juridiques sans compromettre la situation de la famille. Cette transaction n’a pas été acceptée.

Otis a défendu et continuera de défendre sa réputation en se basant sur les faits de cette affaire.

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