« On se voit tout le temps en ce moment », s’exclame une femme en claquant la bise à une autre. « Bah oui, il y a toujours une manifestation ces derniers temps », taquine l’intéressée. En plus des mobilisations contre la réforme des retraites, le secteur éducatif parisien lutte sur un tout autre front : l’annonce de l’Académie de Paris de fermer 178 classes en maternelle et en élémentaire pour la rentrée de septembre prochain.

Ce mardi 14 février, plusieurs centaines de professeurs et de parents d’élèves brandissent des pancartes pour défendre « l’école publique »et entament des concerts de casseroles sous les fenêtres du rectorat.

Ils dénoncent la politique des chiffres. Ces 178 fermetures représentent 155 suppressions de postes. L’Académie de Paris se justifie en mettant en avant le fait que la capitale a perdu 4 093 élèves en dix ans, selon les données qu’elle nous a communiquées vendredi 10 février.

En attendant que plusieurs délégations soient reçues, plusieurs centaines de manifestants se sont réunis devant l’Académie de Paris / ©MélineEscrihuela

 

Une « saignée » dans les arrondissements populaires ?

« À la rentrée dernière, j’ai commencé les cours à 11 élèves », expose Fabien, instituteur en CE1 à l’école du 19ᵉ arrondissement Ourcq B. L’établissement est classé dans le réseau Cité Éducatives où est pratiqué le dédoublement des classes de CP et CE1. « Mais depuis, j’ai trois nouveaux élèves qui sont arrivés », indique-t-il.

« Il y a beaucoup de mouvement dans le 19ᵉ arrondissement de Paris. Certaines familles qui vivent en hébergement social sont placées dans des hôtels à proximité et inscrivent leurs enfants en cours d’années. D’autres s’en vont quand elles trouvent enfin un hébergement stable », explique-t-il à rebours du discours de la maire de Paris qui parle de désertification.

Dans certains quartiers, les parents d’élèves sont encore plus mobilisés que les professeurs

Les annonces du rectorat prévoient la fermeture d’une classe à l’école Ourcq B. « Il y a près de 60 classes qui vont être fermées dans les 18, 19 et 20ᵉ arrondissements », précise Nicolas, instituteur et représentant CGT. Soit un tiers des fermetures annoncées qui représente « une véritable saignée » aux yeux du syndicaliste.

« La fermeture de classe est une chose, mais la fermeture de 155 postes en est une autre », s’alarme Nicolas. « Nous avons déjà dans les arrondissements populaires des classes sous tension. Ce sont les enfants qui en pâtissent. Dans certains quartiers, les parents d’élèves sont encore plus mobilisés que les professeurs », observe-t-il.

« Les riches ne se poseront pas la question longtemps »

Pétition en ligne, groupe WhatsApp : les parents d’élèves s’organisent en vue de la rentrée prochaine. Julie et Stéphanie, deux mères du 20ᵉ arrondissement, restent déconcertées face à la communication de l’Académie de Paris. « La population du 20ᵉ arrondissement ne baisse pas tant que cela », juge la première. « Le quartier Saint-Blaise est même l’un des plus denses d’Europe », renchérit la seconde. Selon les chiffres de l’Insee, la population du 20ᵉ arrondissement est en effet restée constante entre 2013 et 2019.

« Les gens du 20ᵉ ne quittent pas Paris. C’est l’un des rares endroits où les loyers restent abordables, même si l’on voit de plus en plus de cadres s’installer », discutent les deux femmes. « Il y a une vraie mixité sociale qui existe encore, pour le moment », souligne Julie.

« Mais on ne va pas se mentir, les familles qui ont les moyens de quitter Paris le font également à cause des conditions dans les écoles. Si la situation empire, les riches ne se poseront pas la question longtemps », prédit-elle.

Le corps enseignant craint les répercussions des fermetures sur le suivi des élèves en difficulté / ©MélineEscrihuela

REP, Cité éducative : des dispositifs en sursis?

Avec 17 fermetures annoncées, le 20ᵉ arrondissement de la capitale est fortement représenté dans le rassemblement qui fait tapage au pied de l’Académie. « Ces annonces nous ont rendu ouf », résume Julien Pamart, coprésident de l’association de parents Le 20ᵉ aux enfants.

Dans un courrier adressé à l’Académie, l’association s’insurge du fait que « le nord-est parisien perdrait 60 classes, dont 41 en REP (réseaux d’éducation prioritaire) et REP +. Notre arrondissement est lourdement impacté. Cinq des écoles concernées par les fermetures relèvent du dispositif des Cités Éducatives », précise le texte.

On défend simplement un service public de qualité

Le dispositif Cités Éducatives concerne les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Outre le dédoublement des classes de CP et CE1, l’équipe enseignante y est renforcée par trois membres du RASED (Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté). Une équipée constituée d’un psychologue, d’un professeur spécialisé dans le français et les mathématiques et l’un chargé d’accompagner les élèves au comportement difficile.

Avec le plan de fermetures, parents d’élèves et professeurs craignent une dégradation des conditions d’enseignement. Selon eux, les enfants les plus précaires seraient désavantagés, alors que les élèves plus aisés auront la possibilité d’aller vers le privé. « On défend simplement un service public de qualité », résume Fabien.

Méline Escrihuela

Articles liés