Previously on dans notre série sur les municipales à Bobigny : la permanence de campagne du socialiste Fouad ben Ahmed est incendiée, les voitures du candidat Youssef Zaoui prennent feu et le candidat de la majorité sortante reçoit un mélange d’huile et de farine en plein marché. L’ambiance reste tendue et la sortie du livre-enquête d’une journaliste de l’AFP, Eve Szeftel, sobrement intitulée Le Maire et les barbares, agit comme de la TNT et donne à cette campagne un coup de projecteur peu flatteur. Le livre met en cause le député de la circonscription, Jean-Christophe Lagarde, et la mairie UDI accusés de clientélisme et de liens étroits avec « des voyous et des islamistes ».

Depuis la parution des bonnes feuilles dans Le Point, le candidat socialiste Fouad ben Ahmed dit être victime d’intimidations. Des vidéos publiées sur un compte Facebook dévoilent des messages où apparaissent les noms des personnes qui auraient été en contact avec Eve Szeftel. Des méthodes ahurissantes qui visent Fouad ben Ahmed, accusé d’être le commanditaire de ce livre. Le plus grave étant que ces messages auraient, selon Eve Szeftel, été obtenus suite au vol du téléphone d’une de ses sources, Sabrina Saïdi. Ce qui constituerait une atteinte grave au secret des sources.

Depuis 2014, une rupture visible

Ce climat de violences laisse très peu de place au débat d’idées et aux programmes. Pourtant, il y a de quoi dire dans une ville passée en 2014 entre les mains de la droite après avoir vécu près d’un siècle de communisme municipal. Intéressons-nous justement à cette rupture. Qu’a-t-elle changé à la vie des Balbyniennes et des Balbybiens ? Que faut-il retenir du bilan de l’équipe sortante, six ans après son élection ?

Les promesses étaient nombreuses en 2014 du côté de l’UDI. On pense à la création d’une police municipale, à la cantine gratuite ou à la promesse que le contribuable balbynien ne verrait pas ses impôts augmenter. Des promesses majoritairement honorées. Que l’on adhère ou non à la politique menée, celle-ci marque une rupture visible avec l’ancienne mairie communiste sans doute trop installée.

La politique culturelle est un bon point de fracture entre l’ancienne et la nouvelle mairie. A son arrivée, la droite a par exemple supprimé le festival Bobigny sur Ourcq. Un événement estival de trois semaines qui se tenait sur les berges du canal et dont la disparition a été très critiquée. « C’était un truc de prestige où des gens du département voire de Paris venaient s’amuser aux frais du contribuable de Bobigny », justifie Christian Bartholmé, premier adjoint et candidat à la succession de Stéphane de Paoli. A la place, l’élu revendique avoir installé des animations comme une patinoire en hiver et une piscine en été.

Christian Bartholmé est le candidat de l’UDI après avoir été premier maire-adjoint depuis 2014 / (C) Héléna Berkaoui

Le Canal 93, lieu culturel emblématique de la commune, incarne lui aussi la rupture. « Il a été vidé de sa substance », dénonce le communiste José Moury. De son côté, la municipalité défend le projet porté par la nouvelle direction, autour des nouvelles cultures et de l’art urbain, qu’elle oppose à la programmation jugée hors-sol de l’ancienne équipe. Au niveau municipal, les clivages politiques gauche-droite ne sont pas toujours transposables mais ici ils apparaissent assez nettement.

Police municipales et caméras partout

La mairie s’est dotée d’une police municipale et d’un dispositif de vidéo-surveillance en juin 2016. « Actuellement, il y a 17 postes occupés et on est en cours de recrutement (sur 25 postes de policiers municipaux créés, ndlr) », précise Christian Bartholmé. Difficile de mesurer les effets après seulement 3 ans d’existence. L’élu reste d’ailleurs modeste, explique qu’il y a des progrès à faire tout en soulignant que « depuis 2017 et la mise en service de la première tranche de vidéoprotection, 591 réquisitions d’images ont été faites par la police nationale ».

Notons tout de même que l’utilité de la vidéo-surveillance est largement remise en question par les spécialistes comme le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS et auteur de Vous êtes filmés ! Enquête sur la vidéosurveillance. Selon lui, du fait de sa banalisation, ce dispositif n’aurait pas d’impact dissuasif global. Son enquête démontre par ailleurs qu’elle ne permet que rarement l’élucidation d’infractions commises sur la voie publique (de 1 à 3%).

Pour autant, aucun des candidats ne remet aujourd’hui en cause ni l’installation de ces caméras – mobilisés notamment pour lutter contre les dépôts sauvages – ni la création de la police municipale. Le débat se place davantage sur les missions de cette police. « Il faut redéfinir les ambitions, assène José Moury, chef de l’opposition au conseil municipal. Au lieu d’être la police du maire, ce doit être la police des Balbyniens » Du côté des habitants, une Balbynienne résidant à Chemin-Vert explique ne pas avoir ressenti une grande différence : « Il y a toujours des jeunes qui traînent, je ne laisse pas sortir mes enfants seuls. C’est pour ça que je veux déménager ».

La gestion douteuse de l’office HLM

« Depuis 2011, je cherche à déménager et l’OPH ne me reçoit même pas », « l’ascenseur est trop souvent en panne et j’habite au 15e étage », « ça fait un mois que la porte de mon immeuble est pété ». Parler logement est incontournable lorsqu’on évoque le bilan de la municipalité à Bobigny. Ici, la part des locataires du parc social atteint 48% dans une ville qui frôle les 63% de taux de logements sociaux au sens de la loi SRU. La demande est très forte et le parc de logement locatif est dégradé, comme en témoigne, en mars dernier, l’effondrement d’un pan de la façade d’un immeuble quartier Berlioz. Un incident spectaculaire qui n’a heureusement pas fait de victime.

En 2014, l’équipe de Stéphane de Paoli promettait notamment « la transparence totale dans l’attribution des logements de l’OPH ». L’office de la ville compte 4 000 logements familiaux, les autres logements sociaux étant gérés par de gros bailleurs comme Seine-Saint-Denis Habitat. Mais niveau transparence, le dernier rapport de l’ANCOLS (agence nationale du contrôle du logement social) vient ternir le bilan de l’Office.

Si sa situation financière tend à s’améliorer, de nombreux points faibles et irrégularités sont soulevés. Il est par exemple indiqué que la ville propose systématiquement les candidats sur les logements alors que son taux réglementaire de réservation est de 20%. L’Ancols relève également 15 attributions irrégulières de logements et les enquêtes de satisfaction auprès des locataires font apparaître une nette baisse entre de 2014 et 2017, passant de 82% de satisfaits ou assez satisfaits à 69%.

Sur ce sujet, Christian Bartholmé explique : « Qu’il y ait un certain nombre d’erreurs, ça peut arriver, je ne suis pas à la commission d’attribution de logements. Mais dans la commission, vous n’avez pas que le président. Vous avez un représentant des élus, un représentant des locataires donc c’est une composition assez large. Il yavait beaucoup plus (d’irrégularités) dans le rapport de l’Ancols précédent sur l’ancienne municipalité. En revanche, ce que personne n’a relevé de ce rapport, c’est la diminution importante des impayés, la diminution importante de la dette. »

Très actif sur la question du logement, Fouad Ben Ahmed, candidat de la liste Poing commun, critique « une politique de construction dérangeante » : « Le peu de foncier qu’ils ont, ils le vendent et il y a de vrais problèmes en termes de réactivité concernant les problèmes de rats, de punaises de lit notamment ».

La cantine gratuite, mesure appréciée

Comme à Drancy, la mairie a instauré la gratuité de la cantine scolaire à Bobigny. « On a augmenté de 20% le nombre d’enfants qui viennent manger à la cantine », se félicite Christian Bartholmé. Pour autant, cette promesse n’est que partiellement respectée puisque seuls les élèves de l’école élémentaire sont concernés. Pour les maternelles, ce sera pour la rentrée prochaine. « Là où ça coinçait techniquement, c’est que les enfants de maternelle font la sieste après le déjeuner et qu’il faut donc agrandir les dortoirs », explique l’élu. La mesure avait d’ailleurs fait l’objet d’une proposition de loi portée par le député de la circonscription, Jean-Christophe Lagarde, à l’Assemblée nationale. Jamais adoptée, cette proposition de loi avait néanmoins lancé un débat passionné.

Si la cantine scolaire gratuite représente un apport incontestable pour les familles les plus modestes, elle n’a pas que des adeptes. Entre autres critiques, l’association nationale des directeurs de l’éducation des villes de France (Andev) estime que la gratuité pour tous favoriserait essentiellement les familles aux revenus les plus confortables. Du social à l’envers ? En tout cas pour l’Andev. « Depuis de nombreuses années, une majorité de commune a mis en place un système de tarification en fonction des ressources des familles (…) Dans ce cadre, certaines ont choisi la gratuité pour les familles aux ressources les plus faibles », développait l’association auprès de Café pédagogique.

Imane, mère de deux petites filles scolarisées en primaire, se dit elle moyennement satisfaite à cause de la qualité des repas servis, « parfois mes filles rentrent de l’école et me disent qu’elles n’ont mangé qu’un bout de pain. Franchement, moi, je préférerais payer 2 ou 3 euros ». Une critique qui reste relativement marginale. Le candidat marcheur (sans investiture du parti présidentiel) Habib Badindamana le reconnaît sans problème, « c’est une mesure très appréciée, les habitants sont contents même s’il y a beaucoup trop d’enfants et que le service se fait trop rapidement. Il y a donc des choses à améliorer en termes d’infrastructures et de personnels ».

La mairie contre les roms

L’évacuation des campements illégaux figurait également sur la liste des promesses de campagne de l’UDI. Un débat piégeux visant la communauté la plus stigmatisée de France : les roms. La récente rumeur selon laquelle les roms kidnapperaient des enfants a donné lieu à des violences contre cette communauté, notamment à Bobigny. Une sombre histoire qui démontre, s’il le fallait encore, ce racisme ultra décomplexé. Si l’ancienne mairie s’attachait à ne pas émettre d’arrêté d’évacuation et à réserver des places à l’école pour les roms, la droite n’aura pas ses pudeurs et saura exploiter des critiques parfois légitimes.

La situation sanitaire de ces campements produisait en effet de véritables nuisances pour les riverains et pour les habitants des camps. Peu avant l’élection de 2014, la mort d’une fillette de 8 ans lors dans incendie au camp des Coquetiers met le bidonville au coeur des projecteurs. En pleine campagne, l’UDI accuse la maire Catherine Peyge d’appliquer une politique du « tout pour les roms » pénalisant les Balbyniens. Un discours qui fait mouche et qu’on retrouve encore aujourd’hui dans la bouche des habitants.

Christian Bartholmé lors de son meeting, samedi 15 février à Bobigny / (C) Héléna Berkaoui

Sur les trois camps concernés, deux étaient en effet illégaux et l’un d’eux faisait l’objet d’une convention d’occupation temporaire avec la mairie communiste. Le camp des Coquetiers (le plus vieux d’Île-de-France) a été évacué en octobre 2015 et celui de la Folie quelques mois plus tard. Le campement conventionné situé rue de Paris a, lui, fait l’objet d’un feuilleton judiciaire se soldant par son évacuation progressive.

Alors que la mairie UDI décide de ne pas renouveler la convention d’occupation, la société propriétaire d’un terrain engage une procédure judiciaire pour demander l’expulsion sans délai des occupants. Janvier 2019, le caractère urgent de cette demande n’est pas retenu par la justice qui accorde un délai de 17 mois avant évacuation. Mais la mairie adopte en parallèle un arrêté municipal d’expulsion prévoyant 7 jours pour quitter les lieux. C’est finalement le Conseil d’Etat qui tranchera. Il suspend l’arrêté municipal en raison de l’atteinte grave au droit à la vie privée et familiale et au droit au logement des habitants, privés de solutions pour survivre.

Les associations dénoncent évidemment la politique de la mairie. Pour le collectif Romeurope, les expulsions sont « une tactique de la patate chaude » inopérantes. « Les expulsions aboutissent systématiquement à la reconstitution d’autres bidonvilles et d’autres squats. Expulser revient donc à pérenniser la situation. Par ailleurs, susciter le déplacement d’une problématique dans la commune ou le département voisin ne résout rien au regard des citoyens », écrivent-ils dans un dossier à destination des élus locaux.

Dans ce dossier, Bobigny figure comme l’exemple à ne pas suivre… ce qui n’émeut pas le 1er adjoint. « Est-ce que vous pensez qu’une seule ville de 50 000 habitants doive accueillir 400 ou 500 familles roms ?, interroge-t-il. Est-ce que vraiment on choisit la ville où les habitants sont les plus pauvres pour installer des plus pauvres qu’eux encore ? La vie, ce n’est pas que des bons sentiments, il y a évidemment un certain nombre de pauvres gens dans ces camps mais il y a aussi un certain nombre de gens dont les pratiques de vie ne sont pas tout à fait en adéquation avec les règles de notre société. »

Face aux affaires, le bilan ?

Parmi les autres réalisations de l’équipe De Paoli, on peut aussi évoquer la création d’une zone de stationnement gratuit dans la ville. Adjoint aux finances depuis 2014, le candidat Bartholmé se vante enfin d’avoir fait baisser la dette municipale sans augmenter d’un euro les impôts des Balbyniens.

Ces mesures appréciées n’effacent pourtant pas les affaires qui reviennent dans toutes les conversations. « Oui, il y a eu du changement mais vous avez vu qu’une élue a été séquestrée, c’est la honte », nous dit par exemple une habitante. L’élue dont elle parle, Sabrina Saïdi, a fait l’objet à l’été 2014 d’un interrogatoire brutal dans le bureau du 1er adjoint suite à la diffusion d’un tract mettant en cause les relations d’une employée de la mairie avec un membre du gang des barbares. Christian Bartholmé sera condamné pour violences morales en réunion suite à ça.

Cette affaire est le point de départ du livre de la journaliste de l’AFP, Eve Szeftel, Le Maire et ses barbares (Albin Michel). La mairie a déjà annoncé qu’elle engagerait des poursuites judiciaires en diffamation contre la journaliste. La majorité municipale, comme ses opposants, connaissait depuis un bon moment l’existence du livre  et la contre-attaque n’a pas tardé.

« Notre nombre est la seule vraie réponse à une certaine presse qui raconte une petite histoire, celle d’une banlieue pauvre où on est soit voyou soit islamiste », lançait le maire, Stéphane de Paoli, samedi pendant le meeting de l’UDI qui a réuni autour de 500 personnes. Le candidat Christian Bartholmé s’est, lui, mis à lire des questions envoyées par les journalistes de France 3. Preuve que même s’ils affichent des mines sereines, le coup est rude pour les sortants. Qui misent sur leur bilan pour convaincre les Balbyniens de leur redonner leur confiance.

Héléna BERKAOUI

Crédit photo : HB / Bondy Blog

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