Il y a plus d’une semaine maintenant, Nahel a été tué par un policier. La vidéo du drame et sa viralité a répandu la colère dans les quartiers de France. Depuis, il est question des flammes, surtout des flammes, pour la majorité des médias et une partie des responsables politiques.

La mort de Nahel, le deuil d’une famille et d’un quartier ont été vite évacués. Pourtant, l’histoire de Nahel n’est pas un fait isolé. En 2022, 13 personnes ont été tuées par la police après un refus d’obtempérer. Les morts liés à une interpellation policière ont considérablement augmenté ces dernières années.

Gaye Camara, Alhousseine Camara, Rayana… Il y a plus longtemps, Zyed Benna et Bouna Traoré et encore plus longtemps Malik Oussekine… Ces vies fauchées ont en commun, dans leur écrasante majorité, d’être celles de personnes non-blanches, celles de ceux qui sont perçus comme des Noirs et des Arabes. Des contrôles au faciès à la mort, ce sont les mêmes qui sont visés.

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La mort de Nahel illustre de façon brutale le naufrage de l’institution policière qui refuse de reconnaître son racisme et sa violence. Un racisme documenté. « Fils de pute de singe », « Sa propre mère est une pute à bougnoules ». Ces propos ont été tenus par des agents de police de Rouen sur un groupe WhatsApp. 

« Un bicot comme ça, ça ne nage pas. » Ces propos ont été tenus par un policier des Hauts-de-Seine au cours d’une interpellation policière filmée par un habitant. Un vocabulaire daté, qui convoque l’époque coloniale, dans la bouche de très jeunes policiers.

Plus signifiant encore : « Bamboula, ça reste convenable. » Ici, les propos sont tenus sur le plateau de France 5 par un syndicaliste policier. On ne saurait mieux illustrer le problème structurel de racisme au sein de l’institution policière.

Après la mort de Nahel et les révoltes qui en découlent, le débat n’est toujours pas posé. Le 30 juin, c’est l’ONU qui appelait la France à se saisir des « sérieux problèmes de racisme » au sein des forces de l’ordre. Des accusations « totalement infondées », répond l’État. Circulez.

Racisme systémique, un quotidien émaillé de violences

Au Bondy blog, nous connaissons tous au moins une personne victime de violences ou d’abus de la part des forces de l’ordre, quand nous ne l’avons pas nous-même été. C’est aussi le cas des jeunes qui sont descendus dans la rue ces derniers jours.

À 15 ans, Aymen connaît les noms et les propos racistes d’Éric Zemmour ou de Jean Messiha.

Des jeunes de 15 ans nous le racontent et nous disent en substance ce que ça fait de grandir dans une société minée par le racisme et les discriminations. À 15 ans, Aymen connaît les noms et les propos racistes d’Éric Zemmour ou de Jean Messiha, les contrôles au faciès…

Un sentiment d’injustice entretenu

Les défaillances de l’institution policière sont entretenues par les sanctions dérisoires prononcées à l’encontre des rares policiers ou gendarmes qui comparaissent devant les tribunaux.

Des affaires emblématiques. En 2017, le policier qui a tué Amine Bentounsi d’une balle dans le dos a bénéficié d’un acquittement en première instance avant d’être condamné à 5 mois de prison avec sursis. Les policiers poursuivis après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré ont, eux, été relaxés après 10 ans de procédures judiciaires.

En face, la justice fait montre d’une plus ample célérité. Au tribunal de Bobigny, samedi 1ᵉʳ juillet, un jeune a écopé de 6 mois de prison ferme pour avoir tenté de voler un poste de télévision lors d’un pillage.

Responsabilité parentale : un constat indécent et hors-sol

Une semaine après la mort de Nahel, le gouvernement reste dans le déni. Il est question de la responsabilité des parents de ceux qui sont descendus dans la rue. Une colère bruyante et dérangeante. Elle dit le gouffre creusé entre cette jeunesse et les médias (réduits aux dérives de chaînes d’infos pour beaucoup), les politiques (dont un a reçu un coup de bâton en tentant de dialoguer avec des jeunes)…

Les parents que nous avons interrogés se plaignent des dégradations qui les affectent en premier lieu, mais comprennent la colère. Elles nous disent aussi leur peur que leur enfant soit le prochain Nahel et n’ont attendu personne pour appeler au calme.

Lire aussi. « La différence entre 2005 et 2023, c’est que dans nos quartiers populaires, les gens se sont paupérisés »

Dans les quartiers populaires, les mères célibataires, les foyers précaires font déjà beaucoup avec rien. En Seine-Saint-Denis par exemple, près de 18 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 940 euros par mois. Dans certaines villes, ce taux avoisine les 50 %. Avec des moyens réduits à peau de chagrin, les associations pallient depuis trop longtemps les carences de l’État.

Rien ne sera résolu sans une réforme de l’institution policière et une politique de la ville digne de ce nom

Le Bondy blog est né des flammes des révoltes urbaines de 2005. Depuis 18 ans, nous racontons les quartiers populaires, nous documentons, parfois dans l’indifférence, les raisons de la colère, celle qui couve depuis des décennies. Notre travail sur le terrain auprès des habitants et des acteurs locaux nous permet d’affirmer que rien ne sera résolu sans une réforme de l’institution policière et une politique de la ville digne de ce nom. Sans cela, nous n’aurons plus qu’à guetter le prochain départ de feu.

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