Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), samedi 5 novembre, dans les rues du centre-ville : « Personne ne fait les magasins aujourd’hui », ordonne pour charrier l’un des organisateurs de la seconde marche blanche pour Yanis, au micro. On fait mine d’être offusqué, pour rire. Un moment de légèreté au cœur d’une journée de revendications.

Une centaine de manifestants ont participé à la marche en hommage à Yanis. Le jeune homme de 20 ans, originaire du quartier de La Plaine, est décédé suite à une course poursuite avec la police nationale en avril 2021. La première marche avait un mot d’ordre : « Justice pour le quartier ». Il s’agissait de dénoncer le harcèlement policier vécu par les jeunes de la cité. Celui de la police nationale comme celui de la police municipale.

Un an plus tard, la famille continue de condamner « le silence des autorités publiques » et l’absence de prise de conscience suite à ce décès. Les jeunes de La Plaine sont présents, déterminés. À plusieurs reprises, ce sont eux qui donnent le ton de la marche. « Justice pour qui ? Pour La Plaine ! » , scandent-ils.

Les habitants du quartier de La Plaine à Saint-Denis (93) ont fait le déplacement en hommage à Yanis. ©ME

 

« Il a fallu que la nouvelle génération dise “Stop”, pour que l’on se décide à se mobiliser plus globalement contre les violences policières », observe Diangou Traoré, habitante de Saint-Denis depuis sa naissance et engagée dans la vie politique locale.

La mort du jeune homme de 20 ans en juin 2021, après plusieurs semaines passées dans le coma, a créé un choc considérable dans la ville.

La nouvelle police municipale de Saint-Denis reste très décriée

Dans les cartons depuis plusieurs mois, des élus de l’opposition, appuyés par des associatifs de la ville, ont décidé de monter un collectif pour dénoncer un climat sécuritaire de plus en plus délétère, selon eux.

Lancé lors de cette seconde marche blanche, ce collectif ambitionne de devenir le « poil à gratter » du maire PS. Mathieu Hanotin est arrivé à la tête de la ville il y a deux ans, après des décennies de gouvernance communiste et dans un climat particulier.

Après sa prise de fonction, le maire a décidé d’armer la police municipale de Saint-Denis. Une décision controversée. En chiffres, cela signifie que « sur les 89 policiers [municipaux], 30 sont dotés en Pistolet Semi-Automatique, 19 sont équipés du Pistolet à Impulsion Électrique ». Un équipement renforcé par « 25 Lanceur de Balles de Défense (LBD), 28 Générateur Aérosol Incapacitant Lacrymogène et 26 bâtons de défense ».

« Nous n’avons pas été élus pour abandonner les habitant.es à eux-mêmes », rétorque la mairie

« Avec une police municipale plus nombreuse, mieux encadrée, mieux formée, mieux équipée, nous recréons un lien de confiance entre la police municipale et la population », soutient la mairie que nous avons contactée. « Nous n’avons pas été élus pour abandonner les habitant.es à eux-mêmes », se défend la majorité municipale.

En amont de la marche pour Yanis, préparation des pancartes. ©ME

Du côté de l’opposition, les critiques fusent : « En vue des Jeux Olympiques de 2024, le maire utilise sa police (sic) à des fins de communication politique », vilipende Sophie Rigard, une élue du groupe Saint-Denis à Gauche.

Le conseil municipal du 6 octobre dernier a été l’occasion de dresser un premier bilan de l’action de la police municipale de Saint-Denis. Sur les points de deal de la ville, les fonctionnaires dressent de manière « quasi systématique » des amendes pour nuisances sonores. La traque et le déplacement des points de deals serait contre-productif, pour Sophie Rigard : « Les agissements de la police municipale entrave le travail d’enquête de la police nationale ».

Un climat de « violences psychologiques »

Ce n’est pas la première fois que l’action de la police municipale est dénoncée. En mai dernier, un centre de loisirs s’est retrouvé malgré lui « au milieu d’une guerre » entre dealers et policiers municipaux. Aussi, en février dernier, une petite fille de 8 ans a été blessée le soir de la victoire de la CAN, en marge d’une intervention policière musclée. Prise dans une bousculade, la fillette est tombée et a perdu ses deux dents de devant.

Pour autant, la ville de Saint-Denis se veut rassurante quant aux risques de violences policières. « À terme, tous les policiers municipaux armés seront également détenteurs d’un système de caméra-piéton », nous répond la mairie.

Cependant, les interpellations et les interventions policières musclées ne datent pas de l’élection de Mathieu Hanotin. « C’est un tout », nuance Diangou Traoré. « Nos yeux sont habitués à voir ce genre de choses. On peut apercevoir des gamins noirs et arabes contrôlés sans aucune raison. Même quand on n’est pas victime soi-même de contrôles arbitraires, ce sont des violences psychologiques », décrit Diangou Traoré, habitante du quartier Franc-Moisin.

« En s’organisant, on aura, je l’espère, plus d’impact au niveau local »

« Avant la création du collectif contre les violences policières, on avait tendance à tous travailler dans notre coin, dans nos quartiers. En s’organisant, on aura plus d’impact au niveau local », espère Diangou Traoré.

« Quand tu vis dans un quartier populaire, tu ne peux pas décider quel combat mener. Par notre existence même, ces combats s’imposent à nous », souligne de son coté Massika, militante féministe et co-organisatrice de la marche féministe de Saint-Denis. Une marche dont la marraine était la mère du jeune Yanis.

« Le décès de Yanis nous rappelle que les batailles d’hier sont bel et bien actuelles »

La belle-sœur (au centre) et la maman (à droite) de Yanis lors d’une séance de tractage au marché de Saint-Denis. ©ME

« La mort de Yanis a été une tragédie pour l’ensemble de la ville, explique Bally Bagayoko, ancien élu municipal. Le décès de Yanis nous rappelle que les batailles d’hier sont bel et bien actuelles. » Le 4 avril 2021, le jeune homme de 20 ans rentre chez lui en scooter quand il est poursuivi par une voiture de la BAC de Saint-Denis. Hospitalisé avec un pronostic vital engagé, il meurt de ses blessures le 3 juin 2021.

Le lendemain, la France est alors sous couvre feu. La famille a organisé un repas en sa mémoire dans un local associatif du quartier et s’apprête à quitter les lieux à 21 heures. La veillée funéraire bascule quand la police nationale vient violemment disperser les membres de la famille et les proches. À cette époque, Médiapart rend l’affaire publique.

Mort de Yanis : plusieurs procédures en cours

Sur le plan judiciaire, la famille de Yanis est dans l’attente de la saisie d’un juge d’instruction. Ce dernier pourrait permettre l’accès aux caméras de surveillance de la ville. Un élément clef pour déterminer les causes du décès de Yanis.

En plus de cette enquête, ses proches suivent de près le second volet lié à cette affaire. Celui-ci concerne les violences qui se sont produites lors de la veillée funéraire de Yanis, le 4 juin 2021. Des habitants du quartier de la Plaine ont, en effet, déposé une plainte collective contre les policiers. Les victimes présumées devraient prochainement être entendues par l’IGPN.

Les proches de Yanis se sont rendus à plusieurs reprises sur le marché de Saint-Denis pour faire connaître leur histoire. ©ME

En attendant, la famille du défunt espère bien renforcer le nouveau collectif créé à Saint-Denis. Tract au marché, déploiement de banderole dans la ville… La famille ne ménage pas sa peine pour faire connaître l’histoire de Yanis et envoyer un message à la mairie.

« J’ai déjà participé à des marches blanches, cela n’a pas changé grand-chose au problème des violences policières », souffle une habitante croisée lors d’une opération de tractage. Pas tout à fait résignée, elle estime aujourd’hui « qu’il faut que les élus se saisissent de cette question ».

Méline Escrihuela

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