Covid ou pas, la campagne ne s’est jamais vraiment arrêtée à Bobigny. Mercredi matin, au marché de la Ferme, des draps tendus affichent un message à la bombe : « Commerçants en péril ! Merci de Paoli et Bartho ! » Les halles sont pleines et sur la zone extérieure, qui accueille habituellement les stands en plein air, des commerçants sont réunis autour d’un brasero.
« Nous, on a envie de suer, on a eu deux mois de confinement ! », s’emporte Ahmed dont la marchandise est restée dans le camion. Le week-end, ces commerçants volants ont momentanément interrompu le trafic du tramway en guise de protestation. Se mêlant au petit attroupement, Abdel Sadi, le candidat PCF, encense les mécontents. « Dans toutes les villes, les commerçants sont autorisés à déballer », tacle-t-il en pointant un manque de concertation. La mairie avait déjà reçu les commerçants et établi un plan avec eux, permettant la réouverture de leurs enseignes le lendemain.
Pour mémoire, le 15 mars, les communistes sont arrivés en tête avec 37% des voix, loin devant la municipalité UDI sortante (26%). Juste derrière, Fouad Ben Ahmed, le candidat socialiste de la liste Poing commun, dépasse de justesse les 10% réglementaires et reste dans la course. Report du second tour oblige, les tractations ont traîné en longueur avec une date de dépôt de listes fixée au 2 juin.
Un délai qui a permis à l’union de la gauche de se faire, entre les candidats communiste et socialiste les communistes. D’un point de vue arithmétique, la municipalité sortante, dont la liste « Bobigny, ensemble » est menée par le premier adjoint au maire Christian Bartholmé, part avec du plomb dans l’aile.
La fusion Sadi-Ben Ahmed ne passe pas auprès de tout le monde
Pour ceux et celles qui n’auraient pas suivi notre série sur les municipales balbyniennes, un petit tour d’horizon des forces en présence ne sera pas de trop.
Les communistes, d’abord. Eux ont perdu en 2014 la mairie qu’ils dirigeaient depuis près d’un siècle. Six ans plus tard, c’est Abdel Sadi qui conduit la liste réunissant des communistes et des nouveaux venus. Si beaucoup dénoncent les méthodes de l’UDI en 2014, de nombreuses critiquent condamnent aussi le fonctionnement du PCF d’alors. « Dogmatique », « paternaliste » et coupable d’une mauvaise gestion qui s’illustrait notamment par l’affaire de la société d’économie mixte d’exploitation d’équipements collectifs (Semeco).
Preuve que les mauvais souvenirs ne sont jamais loin, une rumeur tourne selon laquelle Catherine Peyge, l’ancienne maire PCF, serait nommée DGS (directrice générale des services) en cas de victoire des communistes. Le seul nom de l’ancienne maire agit comme un repoussoir chez certains. Si cette rumeur apparaît infondée, il est intéressant d’observer l’effet qu’elle produit ou qu’elle cherche à produire.
Fouad Ben Ahmed, maintenant. La figure du candidat socialiste a centralisé un nombre infini de critiques durant la campagne, son QG ayant même pris feu au mois de janvier. Accusé d’être la source derrière le livre Le maire et les barbares de la journaliste Eve Szeftel, le candidat a essuyé des attaques sur les réseaux sociaux et sur le terrain. Le livre en question visait de plein fouet la majorité UDI mais les charges ne sont paradoxalement pas toujours venues de ce camp-là.
Un responsable communiste, encore aujourd’hui, raconte qu’il passe l’essentiel de son temps à expliquer aux gens pourquoi ils ont fait alliance avec Fouad Ben Ahmed. Le débat dépassant parfois les limites de l’acceptable, à l’image d’un photo-montage raciste diffusé sur les réseaux sociaux sobrement intitulé « Les Bougnoules font du ski » et mettant en scène Sadi et Ben Ahmed.
Ces insoumis locaux qui penchent à droite
En revanche, l’union de la gauche balbynienne n’est pas allée jusqu’à la France insoumise. Le candidat investi par la FI, Sylvain Léger, a fait savoir qu’il ne soutiendrait pas Abdel Sadi, prétextant la présence de Foued Ben Ahmed. Un joli cadeau fait à l’UDI de la part de celui qui avait été élu, en 2014, sur la liste de droite. Son numéro 5, Pierre Ramos, a même publiquement annoncé son soutien à Christian Bartholmé.
La FI a tenté de rattraper le coup en publiant un communiqué annonçant son soutien au PCF local et en envoyant Alexis Corbière sur le marché pour soutenir Sadi.
#PourBobignyCe matin au marché de La Ferme nous avons accueilli avec plaisir Alexis Corbière, député #LFI de Seine…
Publiée par Abdel Sadi 2020 sur Samedi 6 juin 2020
Venons-en à la majorité UDI. Contrairement aux autres communes de Seine-Saint-Denis où la droite s’est plutôt bien maintenue, à Bobigny elle est clairement en sursis. Avant le premier tour déjà, la médiatisation du livre Le maire et les barbares leur a porté un sacré coup. Mais le désamour vient de plus loin. Les affaires de la mairie révélées notamment par un rapport accablant de la chambre régionale des comptes ne passent pas.
Le bilan de la mairie – instauration de la cantine gratuite, création de la police municipale – plutôt apprécié a visiblement pesé peu de choses face aux affaires lors du premier tour.
Au fil du mandat, la majorité s’est recroquevillée sur elle-même, plusieurs élus ont claqué la porte ou se sont fait remercier. Le maire lui-même, Stéphane de Paoli, est aux abonnés absents depuis le 1er tour à écouter l’opposition. Pour le moment, l’UDI n’a pas officiellement forgé d’alliance ni reçu de soutien d’autres candidats.
L’UDI mise sur sa gestion de la crise
Pour ne rien arranger, le confinement a aussi été le théâtre de quelques épisodes peu favorables, comme celui de l’annulation des loyers des locataires de l’OPH de Bobigny pour le mois d’avril. Une annonce faite en grande pompe puis démentie par l’OPH lui-même, puis finalement votée lors d’un conseil d’administration de l’OPH mais toujours soumise à validation de la préfecture… Les locataires ont donc payé leur loyer pour les mois d’avril et mai. Lors du premier conseil municipal post-confinement, une subvention exceptionnelle de 800 000 euros à l’office a été votée pour contribuer au financement de cette mesure. Les communistes se sont opposés au vote.
Idem pour le vote instaurant la gratuité de la cantine pour les enfants scolarisés en maternelle. Une position qui fait pester Christian Bartholmé : « Il y a des gens qui prétendent avoir un certain discours mais qui refusent de voter une mesure parce qu’elle n’émane pas d’eux ». De l’autre côté, José Moury parle de mesures électoralistes.
Comme dans toutes les villes soumises à cet entre-deux-tours à rallonge, l’opposition râle aussi sur les éventuels bénéfices électoraux que tirerait la mairie de la gestion de la crise. La communication municipale, la mise en avant de Christian Bartholmé et l’effacement du maire sortant, Stéphane de Paoli, font grincer des dents à gauche. « On a pris des décisions parce qu’on était là. Je ne pense pas que les infirmières et les médecins de l’hôpital Avicenne vont s’en plaindre », rétorque Christian Bartholmé.
A deux semaines du scrutin, la campagne est loin d’être terminée. Le soutien qui pourrait être intéressant pour la majorité est celui de Faysa Bouterfass qui, en seulement trois semaines de campagne, s’est placée en 4e position avec 6,84 % des voix. Mais pour l’instant, cette dernière ne s’est pas exprimée. Une seule certitude, le taux d’abstention dans ces circonstances particulières ne devrait pas baisser.
Héléna BERKAOUI
Crédit photo : Facebook / Foued Ben Ahmed
- Episode 1 : Chef-lieu électrique
- Episode 2 : Quand les communistes sont tombés
- Episode 3 : La campagne prend feu
- Episode 4 : La droite au pouvoir, ça donne quoi ?
- Episode 5 : Un débat de fond dans une campagne qui touche le fond
- Episode 6 : Un livre en forme de bombe
- Episode 7 : Les communistes reprennent du souffle